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Ecophyto 1, 2, 2+ : un rapport parlementaire à la sulfateuse
« Une décennie presque perdue » : tel est le jugement de la Commission d’enquête parlementaire chargée d’identifier les échecs de la massification des changements de pratiques des trois premiers plans Ecophyto. Selon son rapporteur, le député Dominique Potier, Ecophyto signe « l’incurie » de l’action publique avec en victime collatérale le conseil agricole, « le grand impensé et le grand échec » de la décennie écoulée.
« Ecophyto est comme un véhicule qui roulerait sur une route sans radar, avec un tableau de bord défectueux. Un véhicule sans pilote dont les passagers feraient de la destination même un sujet de controverse » : telle la tonalité générale du rapport de la Commission d’enquête chargée d’identifier les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale.
Pour rappel, le plan Ecophyto a été conçu en 2007 dans la dynamique du Grenelle de l’environnement. Lancé en même temps que les plans Ambition Bio et Haute valeur environnementale (HVE), il est officiellement présenté en septembre 2008. Au plan européen, les Plans Ecophyto correspondent aux Plans d’action nationaux qu’imposent la directive SUD sur l’usage durable des pesticides, en attendant l’adoption, récemment ajournée, du règlement SUR (Sustainable Use of pesticides Regulation). « Le « si possible » ajouté à l’époque par le président de la République introduit une ambiguïté qui demeure aujourd’hui », relève Dominique Potier, député (PS) et rapporteur de la Commission d’enquête.
L’action publique, une « incurie »
Celle-ci a disséqué une décennie de politiques publiques (2013-2023), bornée par le bilan d’étape du 1er Plan Ecophyto en 2014 et l’annonce, par la Première ministre en février 2023, des prémices du futur Plan Ecophyto 2030. « Au regard de l’objectif de réduction de 50%, globalement, nous observons que les indicateurs sont au même niveau qu’en 2009, tranche le rapport. Les seules avancées observées sont liées au retrait des molécules les plus dangereuses (CMR 1, CMR 2). Il faut souligner que ces retraits ne sont pas dus à la dynamique Ecophyto mais au cadre réglementaire des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ».
Le rapport n’est pas tendre avec l’action publique, taxée « d’incurie ». « Signe de ce désarroi, entre 2019 et 2023, le Conseil d’orientation stratégique du plan Ecophyto ne s’est pas réuni une seule fois au niveau politique. Nous avons constaté le caractère clairement indigent du portage interministériel, en raison, d’une part, d’un manque d’investissement des différents ministres concernés et d’un manque d’impulsion de la part de Matignon ; d’autre part, du fait de l’absence de pilotage opérationnel de cette politique, faute de responsable identifié ».
A propos de la séparation de la vente et du conseil, institué par la loi Egalim de 2018, le rapport évoque un « accident industriel ». « Non seulement la mesure n’est pas effective mais elle réduit à néant la tentative de remobiliser le conseil agricole, un des impensés majeurs du plan Ecophyto depuis son origine ». En outre, la mesure a eu pour effet de « dévitaliser le processus prometteur » des Certificats d’économie des produits phytopharmaceutiques (CEPP), que les distributeurs avaient auparavant tenté de torpiller en déposant un recours au Conseil d’Etat contre leur expérimentation, illustrant « le rapport de forces » à l’œuvre. Selon la Commission d’enquête, l’échec d’Egalim est double : « le conseil commercial perdure officieusement, ce qui engendre une insécurité juridique pour les agriculteurs, et le conseil stratégique, cinq ans après sa mise en œuvre, n’atteint pas 20% des agriculteurs cibles, lesquels pourraient se voir privés de leur Certiphyto ».
Le rapport salue tout de même quelques avancées positives, dont le Certiphyto justement, contribuant à l’effort de formation et de prévention des risques, ou encore la création du Fonds PhytoVictimes en 2019, lequel « doit être rendu plus visible afin d’atteindre une population cible de l’ordre de 10.000 personnes, d’après les estimations de l’IGAS [Inspection générale des affaires sociales], contre 650 dossiers traités aujourd’hui ».
Les fermes Dephy perdues en rase campagne
La création des fermes Dephy et des GIEE est aussi louée, en tant que « laboratoires vivants qui démontrent qu’il est techniquement et économiquement possible de produire en s’affranchissant de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques ». A ceci près que le programme des « 30 000 fermes » décidé en 2014, dans le but de diffuser les changements de pratiques à partir du réseau Dephy, plafonne à 10% de l’objectif tandis que les GIEE n’ont pas davantage connu le développement espéré.
Outre la charge portée sur la gouvernance et le pilotage interministériel, le rapport n’occulte pas le poids du marché. « Nous constatons une situation de verrouillage généralisé. Le poids de la publicité agroalimentaire représente 1000 fois celui de l’information publique sur l’alimentation ». Sont notamment décriés l’incapacité des politiques publiques à déjouer la concurrence déloyale extra mais aussi intra-européenne, les contrôles « insuffisants et lacunaires », les mesures-miroirs « incantatoires » ou encore la puissance du lobbying dans la fabrique des normes et l’influence des décideurs politiques. « Il nous faut à juste titre sortir de l’ambiguïté du slogan " pas d’interdiction sans solution". Les bénéfices des uns ne peuvent justifier les risques pour les autres ».
Les « périls » pour la santé humaine et l’environnement
Et la Commission d’enquête d’énumérer les « périls » dont sont potentiellement porteurs les produits phyto pour la santé humaine, soulignant à cet égard les enjeux « très forts » de recherche sur les effets cocktails et épigénétiques, sur la prise en compte de l’exposome, l’état des connaissances sur les impacts en santé humaine n’en étant qu’aux « balbutiements ». Le rapport cite l’expertise collective de l’Inserm, mise à jour en 2021, qui renforce les présomptions de liens identifiées en 2013 avec la maladie de Parkinson, certains troubles cognitifs, la maladie d’Alzheimer, les lymphomes non hodgkiniens et le cancer de la prostate. Pour les enfants, la même expertise établit des liens avec certaines leucémies, des tumeurs du système nerveux central mais également des troubles du développement neuropsychologique et moteur.
S’agissant de l’environnement, le rapport de la Commission d’enquête pointe la « menace majeure » pour la biodiversité végétale et animale et pour la ressource en eau potable. Citant une instruction gouvernementale de 2020, le rapport évoque un coût de traitement compris entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an pour apurer l’eau de pesticides (et de nitrates). « Face à ces périls, nous ne pouvons que faire le constat d’un échec collectif à réduire notre empreinte chimique »,
En guise de conclusion, le rapport juge que « les objectifs de diminution de 50% de pesticide sont conciliables avec les autres attendus – sécurité alimentaire et climatique – mais à la condition sine qua non d’une reconception profonde des systèmes agricoles. Une vision prophylactique de la santé du végétal qui rompt avec l’illusion techno-solutionniste. L’expérience montre que cette reconception est techniquement possible ».