La « pause » sur Ecophyto, un signal en trompe-l’œil

[Edito] Alors que la France et l’Europe multiplient les gages de « réarmement » de l’agriculture, dans des proportions que la profession n’imaginait peut-être pas, des voix s’élèvent contre le coup de grâce porté à la Planification écologique et au Pacte vert.

Après les quelques semaines de crise, pendant lesquelles s’est formalisée une forme de concorde nationale autour du piètre sort, humain, social et matériel, réservé à ceux qui nous nourrissent, la discorde n’a pas tardé à ressurgir sitôt les tracteurs rentrés au bercail. Ce n’est pas tant les soutiens directs et indirects aux revenus agricoles qui ont déclenché les hostilités que le « réarmement » prôné par le gouvernement et interprété par certains comme un va-t’en guerre productiviste. En décrétant une « pause » sur Ecophyto, le Premier ministre savait qu’il détenait un trophée de nature à calmer la fronde agricole tout en s’attirant les foudres des défenseurs de l’environnement, au sein de la société civile mais aussi d’une partie du monde agricole.

Deux ministres de l’Agriculture

Le chef du gouvernement ne s’y est pas trompé, même si une bonne dose de mauvaise foi, à la toxicité relative, a accompagné la (sur)exploitation de l’annonce. Il ne s’agissait pas en effet de remettre le couvert sur des molécules interdites, comme on a pu l’entendre, mais de questionner le Nodu, l’indicateur de suivi de la pression phytosanitaire, comme du reste le recommandait un récent rapport parlementaire sur le fiasco des plans Ecophyto, dont le rapporteur Dominique Potier, député et agriculteur bio de son état, n’a rien d’un lobbyiste de « l’agrobusiness ». En décrétant des moratoires sur les prairies et les zones humides, en instaurant la présomption d’urgence face aux contentieux, en réduisant les délais de droits de recours, en mettant sous tutelle les agents de l’OFB etc., le gouvernement a donné des gages aux agriculteurs, au-delà peut-être de ce qu’ils escomptaient. Sans compter qu'avec Attal 2, la profession a droit à deux ministres. Dans le même temps, Bruxelles enterrait le volet pesticide du Pacte vert, après avoir ré-autorisé le glyphosate pour 10 ans, tout en ouvrant la voie aux Nouvelles technologies génomiques (NGT), au nom des transitions écologique et climatique. Autant dire que la pilule est très très amère pour les défenseurs de l’agriculture biologique, convaincus d’incarner la résilience à toute(s) épreuve(s), y compris en matière de renouvellement des générations.

Hiérarchiser les menaces pour prioriser les ripostes ?

A l’heure où, pour la première fois de l'histoire, la planète a connu un réchauffement de plus de 1,5°C en moyenne pendant 12 mois, soit l’objectif de l’Accord de Paris à horizon 2050, la « pause » Ecophyto réactive les clivages entre les impératifs de souveraineté alimentaire et les impératifs de transition, entre l’écologie dite « punitive » et les punitions infligées par le climat, telles que sécheresses, inondations, incendies, altération des puits de carbone etc. Question à 10 euros, l’équivalent de quelques décilitres de glyphosate, de quelques litres de gazole (routier ou pas), de quelques m3 d’eau, de quelques kilos de patates ou dizaines de kilos de blé : qu’est-ce qui, de l’effondrement de la biodiversité, du dérèglement climatique, des contaminations chimiques tous azimuts, de la dégradation des sols, de la surexploitation des ressources, de l’atteinte à la souveraineté alimentaire, de l’envolée démographique, du retour des famines ou encore de l’afflux de réfugiés climatiques constitue la menace la plus prégnante pour le devenir de l’Humanité ? Hiérarchiser les menaces pour prioriser les ripostes ? C’eût été le moyen de dépasser les clivages. Malheureusement, l’effet « cocktail » est plus certainement garanti, à l’image de ce fameux effet « cocktail » prêté aux pesticides. Après la concorde née des barrages routiers, on rêve de pareille concorde pour affronter tous les périls.