La gestion de la main-d'oeuvre : comment être employeur sereinement ?

De plus en plus d’exploitants ont recours à des salariés.Mais être employeur n’est pas toujours une sinécure.Tour d’horizon des conseils pratiques, témoignages à l’appui.

"La deuxième personne que j'ai licenciée à sorti un couteau !", se souvient Aurélien Soubeyrand, arboriculteur en Ardèche et responsable Fruits et légumes pour JA nat'. J'avais 18 ans et lui 32. C'était un père de famille, alcoolique. Il arrivait saoul le matin. Je lui ai dit qu'il ne pouvait plus continuer. C'est là qu'il a sorti un couteau. Heureusement, un salarié habitué de la maison suivait la scène de loin et il est arrivé́. Ce genre de situation ne s'est jamais reproduit." Aujourd'hui âgé́ de 31 ans, l'arboriculteur emploie un salarié permanent à mi-temps et 90 saisonniers pendant quatre semaines pour la cueillette des cerises. Près de 70 % de ces travailleurs saisonniers sont des fidèles qui reviennent d'une année sur l'autre. 

Un manque dans le cursus

Sans aller jusqu'à la menace physique, le rôle d'employeur n'est pas toujours confortable pour les agriculteurs, souvent peu formés sur cette thématique. "Les ressources humaines, ce n'est pas notre premier métier et le sujet n'est pas assez poussé dans la formation agricole", résume Arthur Galinat, 22 ans, administrateur de JA. Avec son associé, ce maraîcher de Dordogne emploie un salarié à temps plein ainsi qu'un un saisonnier de juin à septembre. Les deux exploitants prospectent pour une nouvelle embauche pour la saison 2019. L'arboriculture et le maraîchage sont historiquement des productions gourmandes en main-d'œuvre. Mais le recours au salariat se développe dans toutes les branches agricoles.
Que l'on cherche à embaucher un salarié́ ou à gérer des équipes de saisonniers, le sujet est essentiel. "À terme, l'objectif c'est d'avoir cette denrée rare qu'est un salarié et le garder", appuie Nicolas Le Houerou, chargé de mission Emploi-formation à la FDSEA 35. La problématique est la même avec les saisonniers, où la fidélisation est un enjeu de taille. Si le sujet est peu abordé dans le cursus agricole, des formations existent. "Sur une exploitation, quand on a un dysfonctionnement technique, on cherche un appui-conseil. Cela doit être pareil concernant l'emploi", argumente Michel Lhéritier, conseiller Ressources humaines à la chambre d'Agriculture de l'Indre. Pour lui, être employeur débute bien avant l'arrivée du ou des salariés."Il faut commencer par bien identifier les besoins. Quel temps de travail est nécessaire ? Quelles compétences sont requises ? Suis-je prêt à déléguer ? Comment est-ce que je fonctionne ? Comment puis-je fonctionner avec un salarié ?" Une fois cette organisation du travail et des tâches bien calée, il faut réfléchir aux facteurs de motivation pour le salarié. "C'est-à-dire déterminer les leviers à actionner pour garder la motivation au travail : faut-il par exemple que mon salarié monte en autonomie ?", pose Nicolas Le Houerou. C'est un facteur qui évolue dans le temps, il faut le requestionner régulièrement."

Le formateur met en garde contre le "copinage, très présent en agriculture". "La bonne distance avec les salariés, c'est délicat, témoigne Aurélien Soubeyrand. L'important, c'est que les relations amicales n'empêchent pas de recadrer. Tout le monde me tutoie et je connais le prénom de tous les salariés. Il faut savoir doser, être amical tout en tenant les rênes." Nicolas Le Houerou résume : "La motivation du salarié dépend autant du travail confié que du comportement du manager." Enfin, il appuie sur le "savoir déléguer", point qui pêche souvent. "L'employeur doit admettre que le travail soit fait différemment."

La question de lâge

Des outils comme les entretiens annuels peuvent aussi être mis en place. Pascal Lorand, maraîcher à Saint-Erblon (Ille-et-Vilaine), produit des tomates sous serre. Il emploie une vingtaine de permanents, secondés par jusqu'à 25 saisonniers. "Il y a deux blocs de serres et, à l'intérieur, chaque salarié a son rang à entretenir. Cela responsabilise et c'est mieux pour le suivi." Des entretiens individuels sont réalisés tous les ans, en plus de réunions mensuelles. "C'est important de dialoguer, cela permet aussi de faire remonter des idées. On fait beaucoup de communication par le visuel, avec des démonstrations. Par exemple, pour leur montrer que certaines erreurs peuvent engendrer des problèmes en aval, on les emmène voir à la coopérative", explique le maraîcher. Pour lui, un seul mot d'ordre : communiquer. "Et savoir dire quand c'est bien." 

Pour gérer des salariés être jeune est-il un handicap ? "Il ne faut pas le raisonner comme un problème, sinon il risque d'en devenir un, juge Michel Lhéritier. La question, c'est celle de la compétence du chef d'exploitation et de sa légitimité́. Le salarié doit clairement identifier qui est l'employeur : attention notamment aux exploitations où les parents sont encore en place. Il faut être clair sur qui prend les décisions." Pour Arthur Galinat, "la question de l'âge dépend des situations. Cela peut parfois être compliqué de manager des gens qui vivent mal le fait que l'employeur soit plus jeune qu'eux." En cas de conflit, tous sont unanimes : il faut se saisir du problème le plus tôt possible. 

J'ai fini par solliciter une aide extérieure

Quand je me suis installée en 2015, j'ai repris une exploitation qui employait une salariée. Elle était amie avec les cédants et la garder était une condition sine qua non à la reprise. J'avais 35 ans et elle 55, elle travaillait là depuis 10 ans. Auparavant, il m'était arrivé́ de faire des formations à de jeunes adolescents dans un cadre associatif. Je savais m'adresser à un public, je n'avais pas d'inquiétude particulière sur la gestion d'un salarié. J'ai commencé́ pendant presque un an comme salariée de la ferme, avant l'installation effective. Des difficultés de communication se sont fait sentir dès le démarrage. J'ai dû gérer la reprise d'une entreprise et d'une salariée, avec une charge de travail importante, car j'étais seule là où les cédants étaient deux. Le départ de la salariée était exclu. Ce contexte m'a poussé́ à solliciter une aide extérieure auprès de la chambre d'Agriculture. Avec Michel Lhéritier (le conseiller de la chambre, NDLR), nous avons fait le point sur ce qui n'allait pas, à deux, puis avec la salariée. On a mis en place des outils qui ont permis d'améliorer la situation, notamment des tableaux que nous remplissons avec les tâches à faire. On travaille à améliorer la communication. J'essaie d'impliquer davantage ma salariée et de responsabiliser et expliquer, plutôt que de surveiller. J'aimerais faire des entretiens annuels, mais, pour l'instant, le temps manque.

Article extrait de la revue JA.MAG numéro 758/2019 - Caroline Champenois