Protection sociale des exploitants agricoles actifs et retraités : quel budget ?

La protection sociale du monde agricole est gérée par la Mutualité Sociale Agricole. En 2019, le budget du régime des salariés (actifs et retraités) des établissements agricoles s’élevait à 5.16 milliards d’€ et celui des exploitants (actifs et retraités) à 15.1 milliards d’€. Nous allons, dans ces quelques lignes, porter notre regard sur ce dernier.

Le 10 janvier dernier, lors de la Commission des Comptes de l'Agriculture Nationale (CCAN), le Ministère de l'agriculture a présenté le compte social de l'agriculture 2019 (http://agreste.agriculture.gouv.fr/donnees-de-synthese/comptes-de-l-agriculture/). Sans passer totalement inaperçu, ce compte fait l'objet de moins de débat que le compte de l'agriculture nationale de l'INSEE dont on tire les indicateurs de revenu (qui baissent en 2019). C'est dommage car on verrait alors combien la protection sociale des exploitants agricoles est singulière : la valeur globale de leur budget social baisse de manière continue et il est financé pour moitié par la solidarité inter-régimes.

Vers un relèvement des pensions de retraite des non-salariés de l'agriculture ?

Les agriculteurs n'ont pas fait partie des Français qui ont manifesté contre le projet de réforme des retraites proposé par le gouvernement ; la raison en est simple : cette réforme pourrait les avantager. En 2019, au régime des non-salariés agricoles, les retraités ayant effectué une carrière égale ou supérieure à 37,5 années perçoivent une pension annuelle moyenne de base de 9 659 € bruts (https://statistiques.msa.fr/wp-content/uploads/2019/12/TB-retraites-NSA-T1-2019.pdf). Or, le gouvernement a annoncé que dans le cadre réformé des dispositifs de retraite, les pensions des chefs d'exploitation devraient s'élever à 1 000 € en 2022 et à 80% du SIMC à l'horizon 2025. Cette annonce a de quoi réconforter le monde agricole.

Pas de papy boom dans l'agriculture

Un des faits démographiques majeurs qu'on invoque pour justifier la réforme des systèmes de retraite actuels est le papy boom, c'est à dire l'arrivée des générations nombreuses nées entre 1950 et 1975 à l'âge de la retraite. Dans les prochaines années, le nombre de retraités va progresser et la pression sur les besoins de financement des retraites devrait s'accroître en proportion. Dans l'agriculture, ce papy boom n'existera pas : il n'y aura pas en effet d'afflux massif de chefs d'exploitation retraités dans les années à venir. En effet, depuis l'immédiat après-guerre, les effectifs d'actifs agricoles non-salariés ne cessent de baisser. Depuis plus de 50 ans, il n'y a plus de renouvellement des générations et aujourd'hui, ce sont les chefs d'exploitations, peu nombreux, qui font valoir leurs droits à la retraite.

Ce mouvement démographique explique que les prestations vieillesse versées par la MSA aux non-salariés agricoles retraités soient en baisse constante depuis le milieu des années 2000 (graphique 1). En 2019, dans le régime des non-salariés agricoles, les prestations vieillesse s'élevaient à 7.5 milliards d'€ (contre 6.5 milliards d'€ pour les prestations santé et 0.4 milliards d'€ pour les prestations familiales).

L'ensemble des prestations versées dans le régime des non-salariés agricoles s'élevait à 14.4 milliards d'€ en 2019.  Pour prendre la mesure de l'impact de la baisse des effectifs, il faut rappeler qu'en 2004, l'ensemble des prestations du régime s'élevait à 18.4 milliards d'€ (€ de 2019).

Solidarité inter-régime

La contrepartie de cette érosion démographique, c'est qu'en ressources du compte social des exploitants agricoles, la valeur des cotisations professionnelles est très insuffisante pour en couvrir les besoins de financement (cf. graphique 2). En 2019, les cotisations des exploitants (actifs ou retraités) s'élevaient à 2.7 milliards d'€ soit 18% des besoins de financement de leur compte social.

Ce sont les transferts de gestion, c'est à dire les transferts venus d'autres régimes de protection et le versement de la compensation démographique, qui constituent le plus grand volet de financement (8 milliards d'€ en 2019, 53% de l'ensemble des ressources). En un mot : la solidarité nationale envers les exploitants agricoles contribue au financement de 53% de leur régime de protection sociale.

Les ressources affectées, troisième type de financement, représentent les recettes fiscales affectées au financement des dépenses sociales agricoles (essentiellement, des taxes sur les boissons et alcools).

S'il y avait une chose à retenir de ce regard porté sur le régime de protection sociale des exploitants, c'est cet aspect de solidarité que nous venons d'évoquer. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la modernisation de l'agriculture est passée par une restructuration démographique de la profession agricole avec une baisse sans précédent du nombre d'actifs agricoles ; les avantages de cette restructuration ont été des gains de productivité formidables qui ont bénéficié à tous ; le coût de cette restructuration, c'est un déficit structurel du régime social des exploitants qui est comblé, comme on l'a vu, par cet effort financier collectif.

 

La Lettre économique des Chambres d'agriculture du mois de janvier 2020 - Didier CARAES - l'APCA