Les compteurs d'eau connectés, source de crispation

Les compteurs à télérelève sont porteurs d'une meilleure gestion de la ressource en eau, profitable aux irrigants. Moyennant un travail de pédagogie pour contrecarrer le sentiment de défiance à l'égard de ces descendants lointains des Minitel télétransmetteurs.

En 2014 et 2016, une équipe de l'IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) a réalisé un travail de modélisation sur le bassin du Louts (Landes), un affluent de l'Adour réalimenté par un barrage (Hagetmau). Trois Asa (Association syndicale autorisée) et 56 agriculteurs y puissent de quoi irriguer 1200 ha pour un quota de 1500 m3/ha. Menée en collaboration avec la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), le gestionnaire du bassin en question, l'étude a notamment débouché sur la conclusion suivante : une année sèche comme 2016, 87 % des irrigants de l'amont n'avaient pas consommé l'intégralité de leur quota quand, en aval, 55 % des irrigants avaient outrepassé le leur. Moyennant la présence de compteurs d'eau connectés synonymes de relève automatique quotidienne, la connaissance en temps réel des volumes consommés aurait pu, via un système de bourse d'échanges d'eau, faire profiter les producteurs situés en aval d'un tour d'eau supplémentaire de 300 m3/ha au-delà du quota. Ce tour d'eau aurait généré une marge nette supplémentaire de 164 €/ha, (incluant un surcoût de 37 €/ha lié au tour d'eau), sous l'effet d'un gain de rendement de 16 q/ha de maïs, sans rien enlever aux irrigants de l'amont.

Un dispositif gagnant-gagnant

Cette étude, présentée lors d'un colloque Arvalis-Inra sur la gestion quantitative de l'eau, en décembre dernier à Toulouse, illustre une des vertus des compteurs d'eau communicants. Progrès oblige, les compteurs d'eau sont en effet rattrapés par l'internet des objets, qui assure leur connexion à des plateformes web via les réseaux de type Sigfox. La CACG, gestionnaire d'ouvrages situés pour l'essentiel en Occitanie et en Nouvelle Aquitaine, en développe toute une gamme (Calypso), née d'une collaboration avec le fabricant Integra Metering. « Dans le cadre de cette étude, nous avons réalisé des entretiens et des ateliers avec les agriculteurs irrigants », explique Patrice Garin, chercheur à l'IRSTEA, directeur de l'UMR G-EAU. « Le compteur communicant suscite des réticences car les agriculteurs doutent de ses intérêts en terme de gestion de l'eau. Et si bénéfices il y a, ils craignent de ne pas en être les bénéficiaires. Ils ne réalisent l'aide au pilotage de l'irrigation qu'il recèle. Et enfin et surtout, ils y voient un nouveau dispositif de contrôle, qui sacrifie la confiance et met en cause leur parole dans le cadre du système déclaratif des relevés. L'exemple chiffré des inégalités amont-aval sur le bassin du Louts illustre le caractère-gagnant du compteur communicant. Il est de nature à faire évoluer le regard et la perception des agriculteurs ».

Pour une gestion rénovée

Ce n'est pas là le seul bénéfice du compteur communicant. La mise en place des compteurs permet d'améliorer la qualité du comptage des prélèvements de 5 à 15 % suivant les contextes. Elle équivaut à un gain d'efficience de 5 % en terme de gestion de l'eau. « 5 %, ce n'est ni plus ni moins ce qui manque les années difficiles dans le Sud-Ouest », souligne Daniel Lepercq, responsable de clientèle à la CACG. « En 2012, par exemple, on a des interdictions de prélèvement à partir du 20 août, ce qui équivaut à un manque de 5 % ». Le compteur communicant est le descendant du Minitel et des premières données télétransmises dans les années 1980, époque où l'efficience de l'eau était limitée à 50 % dans les rivières réalimentées, culminant à 80 % depuis l'arrivée des images radar météo et autres progrès techniques. La connaissance en temps réel des prélèvements via les compteurs connectés constitue l'ultime pierre angulaire d'une gestion de l'eau toujours mieux maîtrisée. Ils sont directement le support d'une gestion de l'eau rénovée (déclenchement du comptage au jour du premier lâcher de barrage en lieu et place d'une date fixe arbitraire, mise en place de bourses d'échanges d'eau), gestion rénovée qui passerait aussi par des remises à plat des systèmes d'allocation ou encore des réformes de modes de souscription un peu datés, révélant des problèmes d'adéquation entre les quotas alloués et la réalité actuelle des besoins. « Moyennant explications et discussion, la majorité des agriculteurs concernés par l'étude du bassin du Louts s'est montrée favorable pour revisiter le système de gestion et aller plus loin dans sa mise en œuvre opérationnelle », constate Patrice Garin.