Eau, climat et agriculture : parce que ça ne coule pas de source

Le changement climatique modifie le cycle de l’eau et exacerbe les tensions sur la ressource et la compétition entre les différents usages. A l'occasion de la Journée mondiale de l’eau, le 22 mars, décryptage des impacts et enjeux quantitatifs et qualitatifs.

L’eau, une ressource abondante en France

En France métropolitaine, les précipitations apportent en moyenne 512 milliards de m3 d’eau par an, soit 932 mm (normale climatique 1981-2010) (Source : OFB-SDES Transition écologique). L’évaporation s’élève à 307 milliards de m3 (60%), ce qui réserve un volume de pluies efficaces de 205 milliards de m3, qui s’infiltrent dans le sol pour rejoindre les nappes (24%) et alimenter les cours d’eau (16%).

Prélèvements d’eau selon l’utilisation dans les sous-bassins hydrographiques français en 2017 (Source : OFB – SDES ministère de la Transition écologique)
Prélèvements d’eau selon l’utilisation dans les sous-bassins hydrographiques français en 2017 (Source : OFB – SDES ministère de la Transition écologique)

L’agriculture prélève peu... mais consomme beaucoup

Sur la période 2010-2019, 32,8 milliards de m3 ont été prélevés (rivières, lacs, et nappes souterraines), dont 80% en eau de surface. L’énergie (refroidissement des centrales électriques) représente 51% des prélèvements d’eau, devant la production d’eau potable (16%), l’alimentation des canaux (16%), les usages agricoles (9%) et les usages industriels (8%).

Mais les rapports s’inversent s’agissant de la consommation (solde entre entre prélèvement et restitution au milieu). Sur la période 2010-2019, la France a consommé  4,1 milliards de m3 par an (soit un peu plus de trois fois la capacité du lac de Serre-Ponçon dans les Hautes-Alpes), avec en tête l’irrigation (58%), devant la production d’eau potable (26%), le refroidissement des centrales électriques (12%) et l’industrie (4%). La consommation moyenne d’eau potable par habitant et par jour s’élève à 146 litres (2017).

En 2019, dans le cadre des Assises de l’eau, le Gouvernement s'est engagé à diminuer les prélèvements de 10 % d'ici à 2025 et de 25 % d'ici à 2035.

Depuis le début des années 2000, tous usages confondus, l’ensemble du volume prélevé a tendance à baisser. C’est notamment le cas pour l’eau potable (-13% entre 2003 et 2017), l’utilisation industrielle (-29% entre 2003 et 2017) et les centrales électriques (-20% entre 2003 et 2017). Au cours de cette période, les prélèvements agricoles se sont maintenus entre 2 et 3 milliards de m3 selon les conditions météorologiques.

Sur la période 2008-2017, l’agriculture utilise en moyenne plus de 50% des volumes d’eau consommée en période estivale (juin à août) dans 22 sous- bassins couvrant les trois quarts du territoire métropolitain.

Ressource en eau renouvelable par sous-bassin hydrographique, part consommée et proportion de la consommation agricole en période estivale sur la période 2008-2017 (Source : OFB – SDES ministère de la Transition écologique)
Ressource en eau renouvelable par sous-bassin hydrographique, part consommée et proportion de la consommation agricole en période estivale sur la période 2008-2017 (Source : OFB – SDES ministère de la Transition écologique)

La qualité des eaux superficielles et souterraines s’améliore...

En France, sur la période 2009-2015, la part des masses d’eau superficielles évaluées en bon état chimique est passée de 43,1% à 62,9% et celle des masses d’eau souterraines de 58,9% à 69,1%. L’une des principales sources de dégradation des eaux superficielles (cours d’eau, plans d’eau) et des eaux souterraines (nappes) est la pollution chimique ou physico-chimique. De nombreuses substances chimiques et organiques (pesticides, nitrates, phosphates, micropolluants, etc.) provenant des activités industrielles, agricoles ou domestiques, atteignent les eaux et peuvent avoir des effets néfastes sur les écosystèmes aquatiques et sur la santé humaine.

Evolution des concentrations en nitrates (carte de gauche) et en orthophosphates (carte de droite) dans les cours d’eau sur la période 2006-2018 (Source : OFB – SDES ministère de la Transition écologique)
Evolution des concentrations en nitrates (carte de gauche) et en orthophosphates (carte de droite) dans les cours d’eau sur la période 2006-2018 (Source : OFB – SDES ministère de la Transition écologique)

S’agissant de la pollution des cours d’eau par les nitrates et les orthophosphates, sur la période 2006-2018, la situation s’est améliorée sinon stabilisée sur 80% des sous-bassins. En revanche, la pollution s’est accentuée de 37% sur les masses d’eau souterraine (période 1996-2018).

S’agissant des pesticides, l’indice « pesticides », qui prend en compte leur écotoxicité dans les milieux aquatiques, a baissé de 20% sur la période 2008-2018 dans les cours d’eau. Pour ce qui est des eaux souterraines, près de 80% des 2340 points de mesure des réseaux de surveillance sont concernés par la présence d’au moins un pesticide. Pour 35% de ces points de mesure, la concentration totale en pesticides dépasse la norme 0,5 μg/l pour le total des substances (contre 14% en 2010). Pour 47% d’entre eux, elle dépasse la norme 0,1 μg/l pour au moins une substance individuelle (contre 30% en 2010).

Concentration moyenne en pesticides dans les eaux souterraines en 2010 (carte de gauche) et en 2018 (carte de droite) (Source : OFB – SDES ministère de la Transition écologique)
Concentration moyenne en pesticides dans les eaux souterraines en 2010 (carte de gauche) et en 2018 (carte de droite) (Source : OFB – SDES ministère de la Transition écologique)

... mais le nombre de captages d’eau fermés pour cause de pollution augmente

En 2019, l’alimentation en eau potable de la population française est assurée par plus de 38.000 captages ou ouvrages de prélèvement. Chaque année, ce patrimoine se réduit du fait de l’abandon de certains équipements. Ainsi, sur la période 1980-2019, près de 12.500 captages d’eau potable ont été fermés. Depuis 2009, le nombre de fermetures annuelles dépasse les 400 unités. La première cause d’abandon incombe à la dégradation de la qualité de la ressource en eau (34% des situations). Les autres motifs concernent la rationalisation des réseaux de production et de distribution (24%), des problématiques administratives (15%), des débits de production trop faibles (10%), des dégradations trop importantes des équipements (7%) ou l’impossibilité d’assurer la protection de la ressource (6%). La cause de l’abandon n’est pas connue pour 4% des cas.

Parmi les captages abandonnés pour cause de pollution sur cette période, 41% le sont du fait de teneurs excessives en nitrates et pesticides. 23% sont fermés pour des raisons de microbiologie, 7,5% du fait de présence d’arsenic, 6,5% pour des excès de turbidité de l’eau et 22% à cause d’autres paramètres en excès (hydrocarbures, sulfates, solvants, fer etc.).

L'eau et le changement climatique

Selon le projet Explore 2070 (ministère de la Transition écologique), les impacts du changement climatique sur les milieux aquatiques et la ressource en eau à l'échéance 2070, sont les suivants :

- La recharge des nappes baissera dans une proportion comprise entre -10% et -25%, avec des pics de -25% à -30% dans le bassin de la Loire, -30% à -50 % dans le Sud-Ouest.

- Le débit moyen annuel des cours d'eau pourrait baisser de l'ordre de 10% à 40%. Il pourrait être compris entre -10% et-60% pour les cours d'eau des contreforts pyrénéens et pour la majorité du district hydrographique Seine-Normandie.

- Les débits d'étiages seront par ailleurs plus sévères, plus longs et plus précoces, avec des débits estivaux réduits de 30 à 60%. Ainsi, le Rhône à Beaucaire pourrait subir une baisse du débit minimum mensuel quinquennal jusqu'à -50%. Pour la Seine, on s'attend à une baisse du débit moyen annuel à Paris comprise entre -10 et -50%, mais à un recul du débit minimum mensuel quinquennal pouvant atteindre jusqu'à -70%.

Selon le Giec, qui vient de publier la synthèse de son 6e rapport d’évaluation et de trois rapports spéciaux, la hausse de température de +1,5°C, objectif fixé par l’Accord de Paris à l’horizon 2100, devrait être enregistrée entre 2030 et 2040. La hausse de la température va accroître l’évapotranspiration, +1°C équivalant à 10 à 15% d’ETP supplémentaire.

Une irrigation ultra-minoritaire mais plus importante et plus efficiente

Environ 75.000 agriculteurs, soit 1 sur 6, ont recours à l’irrigation sur une surface totale de 1,8 million d’hectares, soit 6,8% de la SAU contre 6% en 2010 (Agreste 2020). Si moins de 1% des surfaces sont irriguées dans le Nord-Est ou en Normandie, ce taux avoisine ou dépasse 20% en basse vallée du Rhône, dans le Sud-Ouest, au sud-ouest du Bassin parisien et en Alsace.

Le maïs représente 41% de la sole irriguée (Agreste 2016), devant les céréales et oléoprotéagineux (26%), la vigne, les fruits et les légumes (16%), les cultures fourragères (11%) et les betteraves et pommes de terre (6%).

Le volume moyen prélevé pour irriguer est de 1700m3/ha/an (Agreste 2010).

Selon l’Inrae, l’efficience de l’irrigation (tonne de matière sèche produite par mètre cube d’eau) a augmenté de 30% au cours des deux décennies écoulées. L’enrouleur est l’équipement le plus utilisé (68 à 70%), devant le pivot (20%), l’irrigation localisée (5 à 7%) et la couverture intégrale (5%). Des outils de pilotage sont mis en œuvre sur 17% des surfaces.

Et la consommation d’eau par les bovins ?

Les chiffres fréquemment cités font état de 15.000 litres par kilo de viande. Ils sont issus de la méthode Waterfootprint, laquelle prend en compte « l’eau bleue », qui correspond à l’abreuvement, « l’eau grise », qui représente à la consommation nécessaire à la préservation de sa qualité et enfin « l’eau verte », c’est à dire l’eau de pluie consommée et évaporée par les surfaces fourragères. Cette « eau verte » représente 94% des 15.000 litres. Abstraction faite de cette eau de pluie, c’est 50 litres d’eau qui sont réellement nécessaires pour produire 1 kilo de viande bovine selon l’Inrae.

Le drainage, une pratique qui se raréfie

En France métropolitaine, 2,86 millions d’hectares, soit 10,6% de la SAU est drainée (Agreste 2010). Sont exclues les superficies drainées mais dont les drains n’évacuent plus l'eau, ainsi que les superficies drainées ponctuellement (captage de mouillères). Le rythme de drainage est de 5.979 ha/an sur la période 2000-2010 contre 59.604 ha/an entre 2008 et 2000 et 126.761 ha/an entre 1979 et 1988.

En attendant la réutilisation des eaux usées traitées

Selon le Cerema, centre d’expertise partagé par l’Etat et les collectivités, 63 cas de Réutilisation des eaux usées traitées (REUT) étaient recensés en 2017, portant le taux de réutilisation de réusage à moins de 0,6%, selon l’Inrae. Ce taux s’établit à 2,4% en moyenne en Europe du Nord. Il pointe ainsi à 60% à Malte et 85% en Israël. Les eaux usées traitées représentent un gisement annuel de 8,4 milliards de m3 en France métropolitaine. En 2019, les Assises de l’eau ont fixé un objectif de triplement de la REUT à l’horizon 2025. Dans un département comme la Charente-Maritime, selon la Chambre d’agriculture, les volumes d’eau usées équivalent aux volumes prélevés pour l’irrigation.