Numérique : un levier, pas une finalité

La révolution 2 voire 3.0 de l’agriculture est en marche, mais elle doit permettreaux producteurs de mieux valoriser leurs productions et de faciliter leur quotidien.

"Le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous" disait le sage Aristote,  "et s'il permet de créer de la valeur ajoutée sur nos exploitations", aurait pu ajouter Dominique Fayel, éleveur aveyronnais et représentant la FNSEA à la première édition du Smart Agri Forum organisée le 8 novembre par le Conseil départemental et ses partenaires(1). Pragmatique, l'éleveur de bovins a sans doute résumé la pensée de nombre de ses collègues : "Il en va du numérique comme de toutes les technologies : le risque, c'est de l'approcher seulement sous l'angle du gadget. Au contraire, le numérique doit être un levier, pas une finalité, pour nous aider face à tous les enjeux du métier : des marchés mondialisés, de nouvelles attentes sociétales autour du bien-être animal, des pesticides, de la traçabilité... et l'enjeu numéro un désormais, celui du climat. Le numérique est utile si ça aide à maîtriser nos charges, à créer de la valeur sur nos exploitations et non pour alimenter un prestataire de plus."

Dépasser le gadget

Ce préalable posé, il convient de deux atouts majeurs du digital. En prenant l'exemple du robot de traite : "Ce n'est pas juste un équipement de plus dans la ferme, ça change fondamentalement la relation entre l'éleveur et son troupeau, en lui apportant toute une série de données." Mais les outils numériques peuvent aussi, selon lui, revisiter de façon intéressante la relation entre le terrain et la recherche. "Dans les années 60, le développement agricole s'est fait de façon très descendante, des instituts techniques vers le bas. Le numérique, à l'inverse, permet une véritable respiration entre le terrain et le haut, des agriculteurs vers les organismes techniques, de recherche, de vulgarisation. C'est quelque chose de très interactif." Ce que confirme Patrick Escure, président de la Chambre d'agriculture, qui constate tous les jours l'attrait de ces outils pour les jeunes et moins jeunes agriculteurs et une autre façon pour les conseillers de communiquer et d'échanger sur de nouvelles pratiques culturales, via des mini-vidéos postées sur les réseaux sociaux, des sms pour annoncer des "démo-flash"... "Aujourd'hui, il y a une capacité à aller chercher de l'information qui est phénoménale !" Reste à faire le tri dans cette offre par ailleurs chronophage. En tenant compte aussi du fait que le niveau d'appropriation et les attentes varient d'un agriculteur à l'autre.
L'occasion pour lui de souligner combien l'agriculture est un secteur en mouvement et adaptation permanents : "On nous reproche souvent de ne rien vouloir changer, c'est faux. On se bouge, on innove" et ce depuis
30 ans déjà. Patrick Escure a ainsi rappelé que dès 1991, l'association Agri 15 a vu le jour dans le département à l'initiative des organisations agricoles pour favoriser le développement des technologies de l'information et de la communication. On tapait alors 36 15 sur son minitel. Moins d'une décennie plus tard, Agri 15 devenait un site internet portail permettant aux agriculteurs d'accéder à un panel de services en ligne. Un portail qui s'est accompagné d'un plan d'équipement informatique des exploitations. Le déploiement du très haut débit a lui facilité le recours aux logiciels et applications de gestion des parcelles, du troupeau, plate-forme de vente en ligne...
Pour Thierry Valette, président du CER France Cantal, l'intérêt de ces outils et du traitement des données des exploitations des réseaux de références, c'est aussi de permettre aux agriculteurs de se comparer à des moyennes de groupe. En ce sens, ils constituent des leviers supplémentaires d'aide à la décision et de progression.

Data : pas de valeur sans partage

Tous se rejoignent sur le fait que le digital seul ne "va pas sauver l'agriculture", quand bien même les données issues des exploitations suscitent l'intérêt d'un certain nombre d'opérateurs. Mais Nicolas Ferras, directeur des opérations et relations de Smag/In Vivo, met en garde : "Si l'agriculture est un secteur fortement générateur de datas, la donnée n'a de valeur que si elle permet de réaliser un service, une optimisation, d'accroître l'efficience." Surtout, il est convaincu que la vraie création de valeur autour de ces datas naît de l'échange, de la confrontation de ces données, et de l'interopérabilité entre les acteurs de l'environnement agricole. Avec un pré-requis : que la donnée appartienne à celui qui la crée, l'agriculteur, qui peut  accepter de la partager. C'est la vocation de Smag, la filiale d'In Vivo qui édite des solutions web et applications mobiles dédiées à la traçabilité des productions et à l'optimisation des pratiques agricoles (gestion de l'assolement, contrôles réglementaires...). Des outils commercialisés par le réseau de la distribution agricole (coopératives et négoces). Car c'est là un autre point de convergence des nombreux intervenants de ce forum : le numérique sans l'humain est orphelin.

L'humain au cœur du digital

C'est un leitmotiv de Jean-Baptiste Vervy, président de l'association Co-Farming - qui rassemble des start-up agricoles - et fondateur de l'une d'elles, Wizifarm : "Tout le monde fait le même constat : il y a de moins en moins d'agriculteurs dans les AG, les réunions... Notre idée, c'est de se servir du numérique pour rapprocher des gens qui ont les mêmes intérêts sans forcément se connaître, qu'il s'agisse d'échange de matériels, de données pour se comparer... et au final gagner en productivité et compétitivité." Sa start-up propose ainsi une plate-forme de mise en relation de compétences du monde rural et une application de gestion de l'entraide agricole pour, par exemple, "trouver quelqu'un à 10 km de chez soi qui dispose de quelques heures par semaine pour venir en renfort et améliorer ainsi son quotidien financièrement".
Autant de pistes et graines semées pour une seconde édition du Smart Agri Forum.
(1) Chambre d'agriculture, Réussir Agra, Groupama d'Oc, CoFarming... Forum animé par Sébastien Côte (Mon Territoire numérique).