Se lancer en agriculture de conservation des sols (ACS)

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Grand entretien avec François Mandin, président de l’Apad

François Mandin est agriculteur à Luçon en Vendée. Installé depuis 1987, il est l'un des pionniers français de l’agriculture de conservation des sols qu’il pratique depuis 1996. Il préside depuis 2019 l’Apad, un réseau d'associations d'agriculteurs (environ 1000 fermes en 2021) qui s’impliquent pour partager leurs expériences et promouvoir l’ACS en France.

François Mandin, président de l'Association pour la Promotion d'une Agriculture Durable (Apad)

Pouvez-vous nous présenter l’Apad, sa vocation, ses valeurs et les objectifs qui l’animent ?

François Mandin : L'Apad est un réseau d'associations d’agriculteurs qui promeut et développe l'agriculture de conservation des sols. Cette ambition s'articule à la fois autour d'actions techniques, d'événements, de rencontres de terrain, de communication envers les citoyens, mais aussi à travers des projets de rémunération des agriculteurs pour les services rendus sur leurs fermes avec par exemple le label "Au cœur des Sols" ainsi que les futures rémunérations carbones.

Nous avons également une mission de représentation des collectifs d’agriculteurs en ACS auprès des décideurs pour obtenir des politiques publiques plus favorables et participer aux décisions qui peuvent impacter le développement de l’ACS.

Les 15 associations locales se chargent de mettre en place des formations (avec l'appui de l'association nationale qui est organisme de formation depuis 2017), des projets de territoire (en lien avec des syndicats d'eau, des bassins versant, des parcs naturels, des régions ou département, GIEE, groupes 30 000, etc.). Pour épauler notre réseau, nous avons l'appui du Ministère de l'Agriculture et d'autres financements publics selon les projets.

Que propose l’Apad pour accompagner les agriculteurs qui souhaitent franchir le pas vers l’ACS et pour ceux qui la pratiquent déjà ?

François Mandin : Notre ADN est depuis toujours tourné vers la transmission des savoirs entre agriculteurs, à travers des échanges de terrain. Notre outil le plus fort est celui de la formation. Nous proposons des formations pour "débutants", plutôt généralistes, et plus pointues, pour ceux qui souhaitent creuser un sujet technique en particulier (couverts permanents, itinéraires ACS en maïs, réduction des produits phytosanitaires en ACS, etc.). Sur demande, nous construisons aussi des formations qui vont au-delà de l'aspect technique (aspects économiques, réglementaires ou numériques de l'ACS par exemple), car les agriculteurs en ACS sont souvent en recherche d'autonomie globale sur leur métier.

Notre travail consiste aussi à clarifier pour les agriculteurs quels sont les piliers de l'ACS à mettre en œuvre pour assurer leur réussite technique, économique et environnementale. C'est un travail de tous les jours, surtout quand certains acteurs rendent cela parfois flous, faute de connaissances techniques ou bien pour répondre à des enjeux différents de ceux des agriculteurs sur le terrain.  

Quelles sont les freins au développement de l’ACS en France et quelles sont les perspectives pour les années à venir ?

François Mandin : Le frein le plus important est sociologique : la méconnaissance de l'ACS par de nombreux agriculteurs, même si cela tend à changer ces dernières années heureusement, mais aussi la peur du changement ou du jugement des voisins.

Les freins économiques mis en avant par les agriculteurs en questionnement sont généralement le manque d'accompagnement à la prise de risque, l'absence de rémunération pour les services rendus, la manque de subventions pour les investissements en matériel de semis-direct, etc. Même si les rendements arrivent rapidement à des niveaux équivalents à l'agriculture conventionnelle, les premières années sont souvent en-dessous, le temps que le système trouve son équilibre. L'enjeu est donc de sécuriser le plus vite possible les résultats techniques et donc économiques. Heureusement, les économies de charges (baisse des passages de tracteurs, baisse de consommation de fioul) permettent aux agriculteurs d'augmenter leur marge et d'être plus résilients.

Ce qui freine réellement un développement massif vers l'ACS, c'est un manque de lisibilité pour les agriculteurs de l'ambition des politiques publiques (européennes, nationales, régionales) en faveur de l'ACS. On parle beaucoup "d'injonctions contradictoires" dans le discours politique, et cela se retrouve aussi pour l'agriculture : est-ce que la France (et l'Europe) a une vraie ambition pour développer massivement l'ACS ?  Si oui, quels sont les moyens mobilisés ? Comment donner une trajectoire claire aux agriculteurs, à travers des aides et des réglementations adaptées, des outils sécurisés sur le long terme ?

Enfin, la reconnaissance des citoyens est fondamentale pour accompagner cette transition. L'ACS est encore trop méconnue, malgré tout l'intérêt qu'elle présente en termes de biodiversité, de lutte contre le réchauffement climatique, de qualité de l'eau, de restauration des sols, etc. Mais il n’est pas facile de s'imposer dans un univers médiatique souvent binaire, qui n'a pas le temps ni l'ambition de permettre aux citoyens de comprendre réellement les contraintes et opportunités de l'agriculture, dans toute sa complexité. Il y a donc du pain sur la planche pour favoriser toutes les conditions nécessaires au développement de l’ACS ! Mais nous sommes confiants, car nous sentons monter du terrain une conviction de plus en plus solide, et aussi des résultats sécurisés, qui donnent envie. Le Label "Au Cœur des Sols", les futures rémunérations carbone et autres co-bénéfices nous aideront à passer un cap.

 

C'est la fin de ce guide consacré à l'agriculture de conservation des sols. Vous souhaitez relire certains chapitres ? Cliquez ici pour retourner au sommaire.