A l’eau 2050 (6/10) : Dans l’Hérault, la vigne réclame à boire

Sur le pourtour méditerranéen, la vigne pourra difficilement faire l’économie de l’irrigation, au risque d’exacerber les tensions sur la ressource. Novateur, l’Hérault s’est doté d’un Schéma départemental d’irrigation à l’horizon 2030, ménageant de nouvelles ressources. Pas sûr que la viticulture ne finisse pas par trinquer.

Liane au puissant système racinaire, la vigne était jusqu’à présent relativement préservée des contingences hydriques. Le changement climatique pourrait en avoir raison. Et le coup porté sera d’autant plus dur que la culture est pérenne, donc peu malléable, et bien souvent morcelée, voire escarpée et donc plutôt rétive à des aménagements hydrauliques.

Problème : le changement climatique est déjà là, comme a pu en attester l’extraordinaire précocité du millésime 2020, n’épargnant aucun bassin de production. En 2019, à l’occasion d’un épisode caniculaire, Jérôme Despey, président de la Chambre d’agriculture de l’Hérault, affirmait que les températures avaient atteint un tel niveau que « certaines vignes semblaient avoir été passées au chalumeau, littéralement grillées, un phénomène jamais vu ».

Au plan quantitatif, les baisses de rendements constituent une menace pour l’équilibre de nombreuses exploitations qui peinent à produire les volumes autorisés. Le stress hydrique a aussi des incidences organoleptiques, avec des déséquilibres marqués entre alcool et acidité, en partie corrigibles au chai.

A la vigne, la recherche s’emploie aussi à déjouer les impacts. Les leviers d’adaptation empruntent de nombreuses voies : changement de cépage (variétés anciennes, étrangères ou nouvelles), adoption de nouvelles pratiques viticoles (densité, taille, effeuillage, gestion du sol), réorganisation des plantations dans l’espace.

Un département actif sur l’irrigation

On n’oublie pas l’irrigation, y compris des vignes AOC, depuis que l’INAO a ouvert les vannes en 2016, tout en dressant des digues. Dans la vallée de l’Hérault, lieu d’investigation d’une mission des conseils généraux de l'agriculture (CGAAER) et de l'environnement (CGEDD) sur le changement climatique, l’eau et l’agriculture à l’horizon 2050, le recours à l’irrigation n’est pas un sauf-conduit totalement nouveau.

Le taux d’irrigation des vignes, de 9% en 2000, a bondi de 72% au cours de la décennie suivante et les projections à l’horizon 2030 la situent à 23%. Dans un département où la vigne représente 46% de la SAU, la culture est tout simplement vitale, même si sa vitalité a énormément pâti des programmes d’arrachage (-30% en 30 ans), sans conversion agricole notable, si ce n’est la friche, mais pas sans petits paradis artificialisés.

"Le département de l’Hérault est l’un des rares à s’être emparé du sujet de l’irrigation avec une politique volontariste."

Les décideurs locaux ne sont pas restés passifs. « Le département de l’Hérault est l’un des rares à s’être emparé du sujet de l’irrigation avec une politique volontariste sectorielle portée par son schéma départemental d’irrigation (SDI) dans un soutien à un pan économique majeur du département », relève la mission CGAAER/CGEDD. Dans ses projections, le SDI, courant sur la période 2018-2030, a identifié des solutions potentielles pour environ 22 500 ha de vignes, pour lesquelles 10 000 ha sont liés à la mobilisation de ressources supplémentaires, dont 5 200 ha à partir de retenues.

Le département est par ailleurs loué pour le recensement qu’il opère des surfaces irrigables. Les Associations syndicales autorisées (ASA), dont les quatre principales couvrent 72% du périmètre irrigué, sont aussi vantées pour les efforts consentis sur l’amélioration de la gestion de la ressource.

La rentabilité en berne

La mission s’interroge néanmoins sur la compatibilité de ce schéma avec le Plan de gestion de la ressource en eau (PRGE), courant sur 2016-2021. « Le SDI a traduit une demande de la profession agricole et des viticulteurs en particulier, d’un accès accru à la ressource en eau qui, à l’horizon 2030 représenterait 42 067 ha, ce qui, si un tel développement était mis en œuvre, contrasterait avec la philosophie du PGRE d’économie de la ressource en eau », écrit-elle.

"18 projet sur 50 ont une plus-value nette positive avec un taux d’aides publiques de 80%."

Le Schéma départemental d’irrigation a passé au crible les incidences financières des investissements à consentir pour accroître la ressource. Pas de surprise : les coûts sont déconnectés de l’économie viticole. Sur 55 projets étudiés, 18 ont une plus-value nette positive avec un taux d’aides publiques de 80% contre 10 avec un taux de 60%.

« Les projets à mener dans le cadre du prochain PDR-FEADER (Programme de développement rural - Fonds européen agricole pour le développement rural) seront plus difficiles à rentabiliser que ceux menés dans le cadre du programme actuel », indique la mission. En cause : des réseaux plus distants, des retenues à créer, des besoins moins denses etc. « Ils présenteront donc un coût d’investissement à l’hectare relativement élevé, fréquemment supérieur à 10 000 €/ha et nécessiteront un taux de subvention haut pour assurer leur rentabilité économique pour les utilisateurs », conclut-elle.

Tous les articles de la série :

A l’eau 2050 (1/10) : Vers une stratégie nationale d’adaptation de l’agriculture au climat

A l’eau 2050 (2/10) : Oui à la création de nouvelles ressources... sans irriguer davantage

A l’eau 2050 (3/10) : 4 tirs de barrage entre agriculture et écologie

A l’eau 2050 (4/10) : Moins de maïs et plus d’ACS dans le Sud-Ouest

A l'eau 2050 (5/10) : L'Aveyron tout en réserve(s)

A l'eau 2050 (6/10): Dans l'Hérault, la vigne réclame à boire

A l’eau 2050 (7/10) : Dans le Loiret, les petits ruisseaux font les petites réserves

A l’eau 2050 (8/10) : Le coup de chaud des vergers du Vaucluse

A l’eau 2050 (9/10) : Dans l’Aisne, ça baigne pour les cultures industrielles

A l’eau 2050 (10/10) : à Nantes, des cultures marai...chères en eau