Agriculture biologique : l'heure du « bioexit » ?

[Edito] La FNSEA et les JA proposent de conditionner la conversion en AB à une contractualisation portant à la fois sur le volume, le prix et la durée ou à une étude de marché en vente directe, tandis que la Coopération agricole suggère de stopper la course à la montée en gamme. Régulation de l’offre ou « bioexit » déguisé ?

A l’occasion de la présentation du Programme ambition bio 2027, au Salon de l’agriculture, le ministère de l’Agriculture a réitéré l’objectif de 18% de SAU bio à fin 2027, comme l’y enjoint le Plan stratégique national. Pour mémoire, on était à 10,7% fin 2022 et on peut parier que le taux 2023 sera du même acabit. Pour atteindre l’objectif de 18%, il faudra enregistrer une croissance moyenne de 14%/an pendant quatre ans, digne de l’envolée des années 2015-2020. Autant dire que c’est mort. La FNSEA et les JA ont rédigé le 17 avril un communiqué en guise de faire-part. « Pour créer les conditions d’une sortie de crise et relancer l’agriculture biologique durablement, la FNSEA et JA souhaitent que l’accès aux aides à la conversion pour l’agriculture biologique soit conditionné à une contractualisation portant à la fois sur le volume, le prix et la durée ou à une étude de marché en vente directe ». La messe est dite. Le même jour, la Coopération agricole prononçait l’homélie, par la voix de son président, dans les colonnes du quotidien La Provence. « Nos poulaillers labels et bios sont vides et les volailles moins chères viennent de l'étranger », a déclaré Dominique Chargé.

« Si jamais Egalim était respectée... »

En trois coups de cuiller à pot, les trois organisations ont scellé le sort de la bio, plus exactement de son ambition, et mis fin à l’hypocrisie. Une forme de délivrance et de libération post-agonie. « Des contrats, il y en a, affirme Philippe Camburet, président de la Fnab. 18% de SAU bio en 2027, 21% en 2030 avec la planification écologique, 20% dans la restauration collective publique et privée. Le ministre de l’Agriculture en a lui-même fait l’aveu : "Il n’y aurait pas de crise du bio si jamais Egalim était respectée" ». C’était le 28 mars dernier au congrès de la FNSEA qui, soit n’a pas entendu, soit n’écoute plus, au point d’imaginer une belle petite usine à gaz que serait une conversion bio encore plus administrée (en ces temps de simplification) et disons-le tout net, mort-née, quand on songe aux tribulations d’Egalim, avec son psychodrame annuel des négociations commerciales, l’atonie de la contractualisation bovine et donc son jeûne en produits sous signe de qualité. On imagine aussi l’effet collatéral, sur la dynamique d’installation, d’une bio cadenassée.

Des réserves d’Indiens rentiers

Mais à quoi bon envoyer des jeunes et moins jeunes se casser la binette ? Ajuster l’offre à la demande pour redonner de la valeur aux produits certifiés AB : tel est l’argument des syndicats majoritaires. Après tout, la régulation de l’offre fait ses bons offices dans certaines AOP. Pourquoi pas en bio ? Ce n’est pas exactement le logiciel de la Fnab qui défend l’idée d’une « masse critique », autour de 20-25% de SAU, pour « s’imposer économiquement et politiquement et franchir un cap en termes de transitions ». Tout sauf un « bioexit » qui ne dirait pas non nom. Le Programme ambition bio 2027 ménage peut-être, non pas une porte de sortie, mais un sauf-conduit en priorisant la bio dans les zones à enjeux (captages d’eau, zones humides), avec des aides spécifiques genre PSE à l’appui. Une forme de résurrection de l’aide au maintien mais sectorisée et réparatrice, produisant une alimentation premium au service des moins démunis tout en assurant une forme de rente aux producteurs bio « élus », cantonnés dans des réserves d'Indiens, certes en expansion au vu des impacts... Trivial et triste principe de réalité et ultime coup grâce porté aux défricheurs-enfricheurs de la bio.