Viande bovine et lait : l’application d’Egalim à l’amende

Un rapport de la Cour des comptes basé sur les contrôles de la DGCCRF révèle le faible taux de contractualisation en viande bovine, en partie lié à la complexité des clauses contractuelles et des dispositions de la loi, ainsi que l’absence de sanctions. La Cour préconise un meilleur accompagnement des producteurs et une plus grande transparence sur les contrôles réalisés... et l’application de sanctions.

Partant du principe que le dispositif de contrôle de la contractualisation amont, rendu obligatoire par la loi Egalim 2 d’octobre 2021, repose pour l’essentiel sur la Direction générale de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes (DGCCRF), la Cour des comptes s’est livrée, dans un exercice inédit, à l’examen de 64 procédures de contrôles réalisées en 2022 et 2023 auprès de 64 acheteurs « clés », c’est à dire réalisant une chiffre d’affaires moyens de plus de 2 milliards d’euros, représentatifs d’approvisionnements auprès de « milliers d’éleveurs » bovins. « Les contrôles de la DGCCRF constituent l’une des rares sources d’information sur la contractualisation. Ils permettent de prendre connaissance de contrats signés et d’analyser des formules de prix ainsi que d’autres clauses contractuelles », indique le rapport publié le 14 février.

Synthèse des constats des contrôles de la DGCCRF vis-à-vis des dispositions des lois Egalim 1 et 2 pour la contractualisation amont des filières bovins lait et viande
Synthèse des constats des contrôles de la DGCCRF vis-à-vis des dispositions des lois Egalim 1 et 2 pour la contractualisation amont des filières bovins lait et viande
"La "culture d’indépendance", de "maquignonnage" ou de "cueillette" reste très forte au sein de la filière bovine"

Ce dernier précise au passage que « plus de 90 % de la production bovine dans le champ de la contractualisation obligatoire ». La réalité est tout autre puisque Interbev fait état, au 30 juin 2023, d’un taux de 17% selon son observatoire, représentatif de 79% du marché amont (abattoirs). Un taux en ligne avec celui émanant d’une étude du ministère de l’Agriculture, qui pourrait être « utilement publiée », note au passage la Cour des comptes.« Bien que le regroupement de l’offre soit associé à une plus grande capacité à peser dans les négociations commerciales vis- à-vis d’acheteurs plus concentrés, la "culture d’indépendance", de "maquignonnage" ou de "cueillette" reste très forte au sein de la filière bovine. Les politiques de structuration et de contractualisation sont intimement liées ».

Sur les 35 contrôles réalisés en bovins viande, 15 révèlent l’absence de contractualisation et 8 seulement s’avèrent conformes à la loi, le solde étant le fait de manquements partiels, d’absence de constats à date ou de non soumission à la contractualisation amont. Sur les 29 contrôles réalisés en bovins lait, où la pratique de contractualisation est historiquement davantage installée, 2 révèlent l’absence de contractualisation et 9 s’avèrent conformes à la loi.

De formules de prix disparates, des clauses contractuelles difficiles à maîtriser

La Cour des comptes a réalisé une analyse détaillée de 16 contrats (8 lait, 8 viande). La prise en compte effective de l’évolution des coûts de production est très variable d’un contrat à l’autre. Certains contrats ne comportent aucun indicateur, particulièrement dans la filière de bovins viande. Par ailleurs, d’autres contrats n’en comportent qu’un seul, alors que la mention d’au moins deux types d’indicateurs est obligatoire selon la loi. Les indicateurs retenus sont divers, avec des variations importantes pour la filière de bovins lait. La fréquence d’emploi des indicateurs est également variable.

Evolution d’un ensemble d’indices dans la filière bovins viande (base 100 en 2015) (Source : Cour des comptes)
Evolution d’un ensemble d’indices dans la filière bovins viande (base 100 en 2015) (Source : Cour des comptes)

En bovins lait, l’examen des contrats reflète des disparités importantes dans la prise en compte des coûts de production et la manière dont ils intègrent l’inflation. « Les formules de prix n’apparaissent jamais exprimées sous forme d’une équation au sein de laquelle il serait possible d’ajuster des variables, lit-on dans le rapport. Elles prennent la forme de paragraphes de clauses, rendant leur usage plus délicat. Par ailleurs, les clauses d’ajustement peuvent manquer de transparence, celles relatives aux délais de prévenance se révéler insécurisantes ou non respectées. Certains contrats ont révélé l’utilisation d’indicateurs obsolètes, d’autres la mise en œuvre de tunnels de prix défavorables aux producteurs, d’autres enfin l’existence de pénalités excessives supportées par les producteurs ».

Principaux jalons associés à la contractualisation dans les filières bovines (Source : Cour des comptes)
Principaux jalons associés à la contractualisation dans les filières bovines (Source : Cour des comptes)

Des règles complexes et des divergences d’interprétation

En dépit des guides de contractualisation, contrats-type et autres foires aux questions (FAQ) sur l’application d’Egalim, le rapport relève, à la décharge des opérateurs, que les  règles sont « complexes », reflètant « la difficulté pour le législateur et pour les parties de trouver un bon équilibre entre liberté contractuelle et régulation du marché ». Sont notamment visées certaines dispositions relatives aux articles L. 631-24 (critères et modalités de révision ou de détermination du prix) et L. 631-24 (indicateurs de référence). Les modalités de fixation des prix en cadre coopératif au regard d’Egalim font également débat. A titre d’exemple, le rapport évoque une divergence d’analyse entre la DGCCRF et le Haut conseil de la coopération agricole quant aux compétences de la DGCCRF pour contrôler et sanctionner le respect par les coopératives des obligations découlant de la loi. « Une clarification législative pourrait s’avérer, sur ce point, nécessaire »; juge la Cour des comptes.

Pas de sanctions... mais des recommandations

A propos de sanctions, le rapport relève que les manquements constatés en 2022 et en 2023 vis-à-vis d’Egalim 1 ou 2 ont fait l’objet de rappels à la réglementation mais en aucun cas à des sanctions. Une mansuétude mise sur le compte d’une « approche pédagogique » défendue par la DGCCRF mais que la Cour des comptes estime désormais révolue. « Il apparaît peu justifiable que cette situation perdure. Des procédures correctives (injonctions) ou répressives (sanctions) devront être engagées dans le cadre des futures campagnes de contrôle ».

La DGCCRF met en avant la difficulté à déterminer les responsabilités respectives des parties dans l’absence de contrat ou l’échec de la négociation. En outre, la technicité des contrats rend difficile leur élaboration par les producteurs, à l’exception de ceux qui sont solidement structurés. « Sanctionner l’absence de proposition par l’agriculteur conduirait à sanctionner des producteurs alors que la loi vise à mieux protéger leur rémunération », lit-on dans le rapport.

Sur la base de cet audit « flash », la Cour des comptes estime que l’élaboration et la publication de lignes directrices éclairant les dispositions les plus complexes de la loi  pourraient permettre à la fois de progresser dans le déploiement de la contractualisation et d’en caractériser plus aisément les manquements dans sa mise en œuvre. En outre, elle recommande de rendre public un bilan annuel des contrôles et de permettre aux éleveurs d’accéder, en toute confidentialité, à la plateforme de signalement sur le site de la DGCCRF, dans l’objectif de mieux orienter les contrôles.