Préservation du foncier agricole : quels outils améliorer ?

L’artificialisation des sols agricoles, l’accaparement d’une surface importante ont été récemment sous le feu de l’actualité. Se posent également des problèmes d’accès et de juste répartition du foncier entre agriculteurs. Tout ceci milite en faveur de la réforme de la loi foncière qui se profile. Regards croisés entre représentants des Chambres d’agriculture et notaires.

Tandis que s'annonce l'approche d'une réforme de la loi foncière comment voyez-vous la place de l'agriculture dans les territoires ?

F.B L'agriculture occupe une place fondamentale pour nourrir la population, pour maintenir un tissu rural et entretenir le territoire. L'objectif primordial de l'évolution de cette loi, procède d'une volonté affirmée, voire, aujourd'hui, exacerbée de préservation du foncier. Cette loi devra ainsi protéger le territoire agricole dans son rôle nutritionnel essentiel pour une population croissante en France et dans le monde. Elle devra également contribuer à maintenir l'existence d'une agriculture plurielle, source de valeur ajoutée. Un certain nombre d'outils et de dispositifs existent déjà pour atteindre ces objectifs. La démarche qui se pose est de savoir lesquels amplifier, lesquels faire évoluer, modifier fondamentalement, voire créer.

G.L L'appropriation de nos terres agricoles est un sujet tout à fait primordial qu'il convient de ne pas détacher des enjeux liés à leur exploitation. La population française est de plus en plus exigeante vis-à-vis des agriculteurs. Le monde agricole lui-même s'interroge sur son avenir et son rôle dans l'espace rural. Les agriculteurs ont un double défi à relever : nourrir la population en quantité et qualité suffisantes, moyennant un prix accessible. Mais ils ne sont plus envisagés comme des simples producteurs alimentaires. En effet, ils sont tantôt considérés comme des pollueurs, tantôt comme les gardiens de notre patrimoine commun. Derrière ces perceptions, le besoin de qualité et d'authenticité des productions agricoles s'accroît. Ainsi, l'exploitation du territoire rural de demain nécessite que les agriculteurs assurent aussi la transition agroécologique de leurs activités, tout en garantissant l'accomplissement de nombreux rôles sociaux (tourisme...) et économiques (production d'énergies renouvelables). 

Selon vous quels sont les outils de régulation susceptibles d'accompagner aux mieux les exploitations agricoles vers demain ?

F.P. S'agissant de la propriété, l'outil de régulation est entre les mains de la SAFER. Certains textes de lois ont été modifiés mais n'ont pas franchement amélioré la situation en matière de lutte contre l'accaparement de terres par des puissances étrangères ou des investisseurs externes au monde agricole. Que la propriété agricole soit détenue par une multitude d'acteurs a toujours été garant d'une certaine autonomie alimentaire, et de la diversité des productions et des systèmes d'exploitations agricoles. Les textes concernant le portage du foncier par différents types de propriétaires et pour diverses propriétés, doivent également être révisés. Le deuxième aspect, c'est l'usage. Les outils existants ne semblent plus correspondre aujourd'hui aux besoins de répartition de façon équitable entre les agriculteurs. Il nous faut ainsi revisiter le schéma de contrôle des structures, pour disposer d'outils à la fois simples, performants permettant un aménagement du territoire équilibré. Il faudrait permettre notamment l'usage du foncier par des exploitations regroupées sans être obligé de faire des échanges de foncier mutuels et permanents.

G.L. L'exploitation du territoire rural de demain nécessite de répondre à plusieurs défis majeurs, qu'ils soient écologiques ou économiques. Une libéralisation raisonnée permettra d'atteindre les objectifs assignés à l'agriculture de demain. Ces enjeux sont stratégiques pour l'avenir de la France rurale et ne sauraient être abandonnés à la seule loi du marché. Ainsi, il convient d'envisager l'accompagnement des agriculteurs pour un avenir réussi. À ce titre, la régulation de l'exploitation agricole reste indispensable. Lors de notre Congrès de Cannes, notre cinquième proposition (adoptée à 95 %) visait à remplacer les SAFER et le contrôle des structures par un organisme unique, chargé à la fois de la régulation de l'appropriation et de l'exploitation des terres agricoles. Il lui serait alors confié la mission de contrôle des déclarations préalables d'acquisition et d'exploitation

Que pensez-vous de l'agriculture « entre les murs » (de la ville) : quelles en seraient les particularités juridiques et l'impact sur les autres modes d'agriculture ?

A.T C'est un sujet d'actualité. Sa fonction nourricière complète la production de l'agriculture classique. Ses vertus sociales exprimées par le partage et la pédagogie sont un atout pour la ville de demain. Sa fonction environnementale l'est également par la promotion des circuits courts et les bienfaits du verdissement des immeubles. Cette agriculture se pratique parfois sur des surfaces originales comme

les toits d'immeubles. Par sa localisation, différentes branches du droit vont régir son installation : le droit de l'urbanisme, le droit rural et bien souvent les règles de la copropriété. C'est en cela que les particularités juridiques vont apparaître. Par exemple quel bail conclure pour l'exploitation d'un toit d'immeuble soumis au statut de la copropriété ? Cette question a été débattue lors du 114e Congrès des notaires de France avec l'adoption d'un voeu favorisant la liberté contractuelle pour l'agriculture pratiquée en zone urbaine.

F.B. Les surfaces exploitées resteront de fait assez restreintes, elles pourront également remplir d'autres fonctions comme la régulation thermique des bâtiments. Je crois également à l'expansion de jardins familiaux et d'espaces partagés au pied des immeubles qui contribueront à l'éducation alimentaire et au « bien vivre ensemble ». En tant que Chambres d'agriculture nous devons accompagner ces nouvelles formes d'agriculture, notamment par l'acquisition de références pour accompagner ces porteurs de projets. Il est de notre point vue intéressant de valoriser ces espaces interstitiels et cela contribuera aussi à donner une bonne image de l'agriculture hors les murs. 

Article magazine APCA - terre#03 - 2018