Reprendre la main sur la sélection variétale en légumes

Dans les Pyrénées-Orientales, Ludovic Combacal teste des solutions pour réduire les intrants, notamment phytosanitaires, sur artichaut. Parmi les leviers, la sélection variétale, avec un travail conséquent de sélection massale mais aussi in vitro, piloté par les producteurs.

Ludovic Combacal est installé à Torreilles (Pyrénées-Orientales), au nord-est de Perpignan, sur les bords de la Méditerranée. Sur ses 22 hectares, 15 hectares sont en production d'artichauts, et 3 hectares en céleri. Le reste est au repos. Sa production est conditionnée sur le marché international de Saint Charles, à Perpignan. 80 % part en grande distribution, et 20 % chez des grossistes et semi-grossistes.

L'artichaut est une culture gourmande en intrants. Son cycle est long : la plantation est faite en juillet pour une récolte au printemps. Durant presque un an, elle doit faire face aux ravageurs, au mildiou et à l'oïdium, et au démarrage, la concurrence des adventices est rude. Pour lever les freins techniques, l'Acrephyl (Association catalane pour la réduction des produits phytosanitaires en légumes) nait en 2011. Elle compte une quinzaine de producteurs, et Ludovic Combacal en est le président.

La démarche, intégrée dans le cadre d'Ecophyto, fera l'objet de 2016 à 2019 d'un GIEE, « Innov plein champ ». Les GIEE (Groupement d'intérêt économique et environnemental) sont des collectifs d'agriculteurs reconnus par l'Etat qui travaillent à faire évoluer leurs pratiques. Cette reconnaissance permet l'accès à des financements pour l'animation, ou pour l'achat de matériel par exemple.

Des variétés traditionnelles plus résistantes

En terme variétal, la situation de l'artichaut est particulière. Seules des variétés traditionnelles étaient utilisées, jusqu'à l'arrivée il y a cinq ans d'un hybride F1, Sambo. L'hybride n'est produit que par une seule entreprise, situation potentiellement risquée pour les producteurs en cas de rupture d'approvisionnement par exemple. Pour Ludovic Combacal, c'est aussi périlleux en terme de marché : « Il est produit partout en Europe. Cette stratégie sans identité ni qualité est dangereuse, les prix peuvent être très variables ». Côté production, si l'hybride assure des rendements intéressants et réguliers, il est aussi plus sensible au mildiou.

Chez Ludivic Combacal, pas de Sambo. « Mes artichauts sont 100 % sous sigle IGP Artichauts du Roussillon », fait part le producteur, qui a participé à l'obtention du sigle de qualité en 2015. Il en produit 280 tonnes par an, avec les cinq variétés autorisées en IGP : petit violet, Calico, Macau, Salambo, et pop vert. Il estime les valoriser au double du prix des artichauts classiques.

Ces variétés autorisées en IGP sont aussi plus résistantes aux maladies, lui permettant de limiter les IFT. « Sur ces variétés traditionnelles, on peut faire l'impasse sur les antimildious, même s'il reste la lutte anti-oïdium », explique Gilles Planas, conseiller agricole en fruits et légumes et ingénieur réseau Ecophyto à la Chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales. Avec l'hybride, il estime qu'il faut en moyenne passer une douzaine de fois avec des fongicides contre le mildiou et l'oïdium, selon les années, contre environ cinq passages avec les anciennes variétés.

Sélectionner pour augmenter les rendements

Si les anciennes variétés sont plus résistantes, elles s'essoufflent, avec des problématiques de rendements. Un programme de sélection massale est lancé en 2017. « On passe dans les rangs d'artichauts et on sélectionne les plants dont les oeilletons seront utilisés pour l'année suivante », relate Ludovic Combacal. En parallèle, des travaux sont menés avec le laboratoire Invenio depuis 2018 pour accélérer la sélection. « Cela permet d'aller plus vite, explique Gilles Planas, mais le coût est important : entre 2,5 et 3 euros pour un plant in vitro ». Le conseiller a lancé cette année chez un producteur un essai de plants sous abri. « L'idée pourrait être que des producteurs deviennent multiplicateurs », indique Gilles Planas.

Ludovic Combacal travaille aussi sur le désherbage. Il a tenté, sans succès, des paillages en plastique biodégradable sur le rang : « On voit une montée en température trop importante pour les jeunes plants ». Le passage de l'arrosage gravitaire au goutte-à-goutte permet de limiter les interventions mécaniques dans l'interrang, liées au tassement de sol, et d'installer un couvert.

Ludovic Combacal, dont les installations sont à moitié en goutte-à-goutte et à moitié en gravitaire, a essayé d'enherber, avec des problèmes d'infestation de rongeurs. « Cet automne, on va tenter le trèfle », ajoute le producteur. Pour les dégâts de pucerons, plus de traitement systématique, « on essaye de laisser faire les auxiliaires », observe le producteur. Impossible à faire en revanche contre l'apion, dont la larve fait trop de dégâts.

Intégrer de nouvelles cultures pour le repos des sols

L'autre problématique de l'artichaut, c'est qu'il est cultivé en quasi-monoculture, épuisant les sols. « On a essayé de casser le cycle de l'artichaut en intégrant d'autres cultures », raconte Ludovic Combacal. Il s'est mis au céleri, mais les débouchés ne sont pas suffisants pour l'intégrer de façon à équilibrer l'artichaut dans la rotation.

Le producteur utilise aussi des couverts de sorgho et d'avoine, qui sont broyés et enfouis. « C'est le volet le plus difficile, à cause des problématiques de foncier », constate Ludovic Combacal. « On essaie aussi de développer des partenariats avec des éleveurs et des céréaliers, par exemple avec de la luzerne », indique Gilles Planas. Le renouveau de l'artichaut du Roussillon est en cours, mais il reste de nombreuses pistes à explorer.

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