Acquérir sa terre : comment la financer

Que l’on porte un projet d’installation ou que l’on soit déjà installé, l’accès au foncier reste, pour une large majorité des productions agricoles, la condition sine qua non. Alors, quand un propriétaire est vendeur, l’enjeu est souvent majeur. Une fois le projet analysé et la décision de se porter acquéreur arrêtée, il faut se poser la question du mode de financement. Quelques clés pour guider votre réflexion.

Qui achète : personne physique ou personne morale ?

Dans le cas d'une exploitation sociétaire, il est rarement conseillé de faire acheter le foncier par la société sauf s'il s'agit d'une parcelle sur laquelle la société souhaite construire. En effet, une société agricole n'ayant pas vocation à durer toujours, il faudrait en cas de dissolution faire face à des frais notariés et droits d'enregistrement  supplémentaires pour sortir les terres de la société. Par ailleurs, la terre n'étant pas un bien amortissable, il n'y a aucun intérêt fiscal à ce que la société soit propriétaire du foncier, à l'exclusion des sols de bâtiment ou des terrains ayant vocation à être construits.

Il est souvent plus judicieux que l'acquéreur soit une personne physique (par exemple un associé exploitant) ou une personne morale type Groupement Foncier Agricole (GFA).

Les droits d'enregistrement sont-ils différents en fonction de l'acquéreur ?

 Le droit d'enregistrement peut représenter jusqu'à 5,80 % du prix de la cession (hors frais notariés et conservation des hypothèques). Dans certaines situations, celui-ci peut être ramené jusqu'à un taux réduit de 0,75 %. C'est le cas notamment si vous exploitez le terrain depuis au moins deux ans en vertu d'un bail consenti à vous-même, à votre conjoint ou à vos ascendants (ou ceux de votre conjoint) et que vous vous engagez par ailleurs à mettre en valeur personnellement le bien pendant un délai minimal de 5 ans.

C'est le cas également, si votre société se porte acquéreur alors qu'elle est elle-même titulaire d'un bail ou que vous lui mettez les terres à disposition en étant vous-même preneur du bail avec les conditions précitées. Vous pouvez être concerné également par le taux réduit si vous exploitez les terrains depuis plus de 2 ans et que vous vous portez acquéreur en vue de l'installation d'un de vos enfants ou petits-enfants majeur. C'est alors lui qui prend l'engagement d'exploiter.

Sont aussi concernés les jeunes agriculteurs bénéficiaires des aides à l'installation pour leurs acquisitions en  Zone de Revitalisation Rurale (ZRR) durant les 4 années suivant l'octroi des aides et dans la limite d'une valeur cumulée maximale d'acquisition de 99 000 €.

Le taux réduit s'appliquera enfin aux acquisitions de foncier en ZRR, dans la limite de 99 000 €, à tout acquéreur qui prend l'engagement de louer le bien à un jeune agriculteur bénéficiaire des aides à l'installation, dans l'année suivant l'achat, via un bail à long terme ou un bail cessible. 

Comment financer ?

L'acquisition de foncier reste un défi pour bon nombre d'exploitants. Ceci est d'autant plus vrai si l'exploitant est jeune et dispose d'une faible capacité d'autofinancement. En effet, même si en France les prix des terres arables restent assez faibles au regard de ceux observés dans les autres grands pays agricoles, le fermage reste souvent moins élevé que l'annuité en cas d'acquisition par emprunt exclusivement, même en finançant sur des durées longues. Il peut donc être judicieux de financer une partie de l'acquisition par un apport personnel. La stratégie est alors à adapter en fonction des conditions de financement proposées, et notamment des taux d'intérêt.

En société, il arrive parfois que l'associé preneur du bail ne soit pas en capacité de faire face à ce coût d'acquisition de foncier alors même que la société a tout intérêt à ce que l'achat se fasse et disposerait d'une capacité d'emprunt. Si l'associé détient un compte associé créditeur, il est alors possible de faire emprunter la société pour solder ce compte courant associé et permettre ainsi de faire porter le coût financier à la société. Cette solution est particulièrement adaptée quand les achats de foncier sont bien répartis entre les associés et qu'elle n'engendre pas de trop gros déséquilibres au niveau des comptes courants associés. Lorsque l'achat de foncier est trop lourd, ou arrive trop tôt dans la vie de l'entreprise, il peut arriver que celui-ci vienne concurrencer d'autres investissements nécessaires au développement de l'exploitation, voire les projets personnels de l'exploitant. Dans ce cas-là, il est nécessaire de dissocier le projet entrepreneurial et le projet patrimonial pour lequel des solutions externes peuvent peut-être exister.

Comment constituer un patrimoine familial ?

Parce que le foncier agricole représente un patrimoine, au même titre qu'un immeuble bâti, son acquisition peut faire intervenir d'autres protagonistes que l'exploitant, dans le cadre familial ou en dehors. À ce titre, le Groupement Foncier Agricole (GFA) est un outil intéressant pour permettre le financement du foncier agricole et sa transmission. Il s'agit de créer une société en famille ou avec un tiers investisseur, pour conserver ou acheter les terres agricoles et les gérer en les donnant à bail (idéalement à long terme) à l'exploitant. Cette société permet ainsi de conserver l'unité foncière, voire de l'améliorer par des achats successifs donnant de la valeur au patrimoine foncier. Le GFA facilite enfin la transmission du foncier entre les générations en permettant de céder progressivement les parts de GFA, dans un cadre fiscal qui peut être avantageux : si les terrains sont loués via un bail à long terme, la donation des parts détenues depuis au moins 2 ans bénéficiera d'un abattement (pour aller plus loin, voir article page 11).

Bien entendu, la constitution d'une telle société engendre des coûts et nécessite de l'entente entre associés. Elle sera intéressante dès lors que les surfaces concernées seront suffisamment importantes pour justifier de son existence et de sa longévité.

Aujourd'hui, d'autres solutions émergent. En effet, la maîtrise de l'étalement urbain et la conservation des surfaces agricoles sont un objectif que s'est fixé l'action publique depuis plusieurs décennies. C'est dans ce contexte que les pouvoirs publics, des associations citoyennes, des organisations non gouvernementales ou la profession agricole, mettent en place de nouveaux modes de sécurisation foncière dits de "portage foncier" principalement utilisés aujourd'hui en soutien temporaire à l'installation. Ainsi, interviennent sur le sujet les SAFER, l'association "Terre de Liens", les conservatoires d'espaces naturels, les syndicats mixtes, les plateformes de financement participatif... qui proposent la mobilisation de fonds privés pour acquérir des terrains agricoles et permettre l'installation d'agriculteurs.

Article CERFRANCE : magazine Gérer pour Gagner n° 52/2018 - Sandrine Jean, conseillère de gestion

Dossier complet Gérer pour Gagner n° 52/2018