Exportations de blé tendre : un enjeu pour l'équilibre de la filière française mais à quel prix ?

LE POIDS DES EXPORTATIONS DANS LA FILIÈRE

Considérées longtemps comme une variable d'ajustements, les exportations de blé tendre français sont devenues un véritable enjeu pour l'équilibre de toute la filière. Depuis 1980, la production de blé tendre en France a augmenté de 75 %, grâce surtout à des rendements en hausse de 52 % sur cette période. Cette progression a permis à la France d'honorer largement ses besoins domestiques. Même la production désastreuse de l'année 2016, avec 28 millions de tonnes, a suffi à répondre à l'ensemble des besoins intérieurs, moyennant quelques centaines de milliers de tonnes d'importations de blé à forte teneur en protéines. Le blé tendre qui n'est pas exporté, sert essentiellement à la fabrication de farine à destination artisanale, pour les 33000 boulangeries de France, premier débouché des farines françaises, qui utilisent l'équivalent de 2,7 millions de tonnes de blé par an. Tout cela pour produire, entre autres, 6 milliards de baguettes artisanales. La biscuiterie et la biscotterie consomment, elles, 1,2 million de tonnes de farine. Une partie du blé (19 %) sert à l'alimentation animale. 4 % à la fabrication du bioéthanol et 7 % à l'amidonnerie.

UNE DÉPENDANCE CROISSANTE AU MARCHÉ MONDIAL

 Cette présence sur le marché export permet à la France de se classer parmi les premiers pays fournisseurs de blé de la planète avec environ 11 % de l'exportation mondiale. L'ensemble des volumes échangés dans le monde représentent 23 % de la production mondiale sur la campagne 2017/18 versus 18 % en 2007/08. Les exportations de blé tendre français destinées aux pays tiers sont surtout destinées à l'alimentation humaine (en référence au « bon pain français») alors que les exportations vers les pays de l'Union européenne répondent à la fois aux besoins de la fabrication de l'alimentation animale pour environ 30 % des volumes et à l'alimentation humaine. Les ventes de blé tendre français vers les clients de l'Union européenne plafonnent, voire régressent depuis 2007 avec l'élargissement de l'Union. La France livre le blé essentiellement vers les pays de l'Europe de l'ouest comme les Pays Bas, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et Irlande, pays proches de nos frontières. L'arrivée des nouveaux États membres comme la Roumanie, les États Baltes, la Bulgarie ont généré une forte concurrence pour les membres fondateurs de l'Europe. Le basculement des ventes vers les pays tiers s'est opéré à partir de la fin des années 2 000. La demande croissante des pays d'Afrique et d'Asie pour des raisons démographiques mais aussi pour des changements dans leurs habitudes alimentaires ont accéléré le processus d'exportation. Les produits issus du blé (pain, biscuits, beignets...) sont bien adaptés à la consommation des urbains et le taux d'urbanisation augmente à travers le Monde. Aujourd'hui, les volumes exportés depuis la France vers les pays tiers représentent plus de deux fois les volumes utilisés par la meunerie française. La dépendance au marché mondial est donc croissante. Dans le même temps, les critères de qualités sont devenus la base de l'accession aux marchés à l'export, avec des cahiers des charges spécifiques selon les destinations.

LE PRIX MONDIAL S'IMPOSE À LA France

Le marché des céréales est largement libéralisé. Ainsi, les marchés français et européens s'alignent sur les cours mondiaux des céréales, eux-mêmes largement influencés par les marchés à terme (Chicago, MATIF). Le prix du blé en France ne dépend plus du marché français. Le développement des échanges mondiaux et la spécialisation des zones de production ont une influence forte sur la fixation du prix du blé dans notre pays. La formation des prix va dépendre d'une multitude de facteurs qu'on peut classer en deux catégories. On distingue des facteurs endogènes, sensibles à l'équilibre entre les ressources disponibles et la consommation qui a tendance à progresser légèrement d'une année sur l'autre. Le climat et ses aléas en constituent les principaux composants. Ils influencent le niveau de production mondiale de blé. Et il y a d'autres facteurs plutôt exogènes. Pour ces derniers, on pourrait citer l'influence des financiers sur le marché mondial des céréales. Sur le marché à terme de Chicago, on compte plus de 80 % d'intervenants non commerciaux. Les hedgers, swap dealers, gestionnaires de fonds, et autres peuvent à eux seuls amplifiés à la hausse comme à la baisse les prix selon leur propre analyse des fondamentaux du marché physique des céréales. La géopolitique, les conflits, la monnaie, le pétrole, sont autant d'autres éléments qui peuvent influer sur le niveau du prix du blé tendre. Avec son statut d'exportateur majeur sur la scène internationale, la France subit le prix mondial. Le prix « rendu Rouen », qui est la référence du « rendu port d'exportation », a une importance capitale parmi les différents prix relevés en France. La part des exportations dans le bilan français du blé tendre lui confère un rôle de prix directeur des différents débouchés intérieurs. Les objectifs de l'Europe de se rapprocher du prix mondial pour participer aux enjeux alimentaires ont été largement atteints depuis la mise en place des réformes successives de la Politique Agricole Commune depuis 1992. Les prix sont réputés représentatifs d'une qualité donnée. Actuellement, les prix du blé tendre sont exprimés pour une qualité « standard » dite « 76/15/4/2/2 » : poids spécifique de 76 kg/hl, 15 % d'humidité, 4 % de grains cassés, 2 % de grains germés et 2 % d'impuretés.

UNE TENDANCE MONDIALE QUI TIRE DURABLEMENT LES PRIX VERS LE BAS

Selon les experts, les prix du blé tendre s'expliquent par au moins 80 % des fondamentaux du marché mondial, à savoir la simple loi de l'offre et de la demande et du poids des stocks. Or depuis les cinq dernières années, les bilans annuels successifs ont été largement excédentaires. Sans réels incidents climatiques majeurs pendant cette période, la production a constamment dépassé la consommation mondiale qui n'a pourtant pas cessé d'augmenter : + 130 millions de tonnes entre 2007 et 2017 (équivalent de 3,5 récoltes françaises). La récolte catastrophique française de céréales en 2016 n'a eu aucun effet sur le bilan mondial ni même sur le prix. Cela a impacté l'ensemble des acteurs de la filière française. La France a même perdu sa place de premier exportateur européen pour la première fois de son histoire. Les concurrents ont su combler les volumes français manquants.

Hormis 2016 pour la France, l'ensemble des bassins des pays producteurs et exportateurs ont enregistré des récoltes excellentes. On peut noter les deux années records de suite pour la Russie avec en 2016 une production de 73 millions de tonnes et en 2017, une estimation avoisinant les 86 millions de tonnes. De fait, les quantités disponibles sur le marché des échanges sont devenues considérables d'autant plus que les principaux pays producteurs sont largement autosuffisants (voir la carte ci-dessous) depuis longtemps.

Ces disponibilités à l'export sont abondantes, et maintiennent la pression concurrentielle entre origines. De plus en plus de pays sont en capacités à produire ce blé « standard », pré requis pour pouvoir exporter. La diversité de l'offre mondiale a conduit aussi les acheteurs à renforcer leurs exigences qualitatives, et à ne pas prendre de risques. La tendance baissière des prix constatée depuis cinq ans reflète la forte compétition entre les différentes origines, compétition qui devrait se poursuivre encore au regard des disponibilités et des stocks chez les grands pays exportateurs. La suprématie de la Russie sur le marché international lui confère « les pleins pouvoirs » sur la fixation des prix du blé meunier standard. Les stocks records de la fin de campagne 2016/17 en Russie et sa production 2018 sans cesse revue à la hausse tire encore un peu plus les prix dans une spirale baissière qui poussent bon nombre d'acteurs à faire de la rétention de vente. Pour 2018 et avec un hiver pour le moment doux, les exportations russes de blé tendre devraient dépasser les 35 millions de tonnes ; pour rappel, en 2005, elles s'élevaient à 10 millions de tonnes. La Russie s'impose désormais comme un acteur de plus en plus influent sur la scène internationale même si la qualité connaît une légère dégradation en 2017 par rapport aux années antérieures. La récolte française 2017 très satisfaisante en quantité comme en qualité (selon l'enquête FranceAgrimer-Arvalis sur la qualité des blés à l'entrée des silos, 65 % des blés ont une teneur en protéines supérieure à 12 %) est confrontée à la concurrence sur les marchés à l'export, notamment de la Russie, de l'Argentine. Dans ce contexte, la France ne peut rémunérer de manière satisfaisante la bonne qualité en raison de l'importance des disponibilités également de bonne qualité.

Cet article est extrait de la revue Prisme, l'analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire (mars 2018)

Lire tout le dossier : PRISME n° 20 – mars 2018 - L'analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire