Le sucre après les quotas

Au 1er octobre 2017, une nouvelle réforme du marché du sucre en Europe mettra fin au système de quota dans l’Union Européenne. Ce n’est pas la première réforme que le secteur européen met en œuvre ; il y en a eu plusieurs, la dernière ayant conduit à une restructuration forte remonte à 2006. Mais c’est la première fois que le cœur du système est réformé : la levée des quotas sucre et isoglucose structurant l’ensemble des acteurs est en effet une réforme majeure, un changement de paradigme.

Ce qui va changer au niveau réglementaire

La levée des quotas s'inscrit dans la continuité des réformes successives de la Politique Agricole Commune (PAC) mais n'est pas dictée par des pressions externes, comme celle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dont le panel contre l'UE gagné en 2004 avait forcé à la réforme de 2006. La décision des institutions européennes de libéraliser le dernier marché qui restait encadré en Europe a été prise en 2013, dans le cadre de la dernière réforme de la PAC, pour application au 1er octobre 2017. Après la fin des quotas laitiers intervenue en 2015, le sucre est le dernier secteur où il est mis fin à la gestion directe du marché au travers d'instruments de gestion de l'offre (la réforme des droits de plantations de la vigne en 2016 a néanmoins maintenu une forme de régulation des volumes).

L'abolition des quotas sucre et isoglucose par pays et par entreprise, dont le total depuis 2006 était fixé à un niveau inférieur à la consommation alimentaire de l'UE (75 % environ), va conduire à la liberté de production et à la liberté d'exportation et donc à plus de concurrence. Mais elle modifie également les rapports le long de la chaîne d'approvisionnement. La fin des droits de livraison et du prix minimum de la betterave, associés au quota, est un bouleversement majeur pour les planteurs de betteraves européens et pour les relations avec les fabricants de sucre. La fin de la distinction réglementaire entre sucre pour usage alimentaire et sucre pour usage non-alimentaire et entre sucre à destination du marché domestique et sucre à destination des pays tiers va également modifier les relations entre fabricants et utilisateurs de sucre en Europe. La fin de la restriction de production de l'isoglucose (concurrent direct du sucre, notamment dans les boissons sucrées) va accentuer la concurrence sur le marché européen.

À cette réforme il faut ajouter le développement de la politique commerciale de l'UE ces dernières années. Certes aucun accord à l'OMC n'est intervenu depuis le panel sucre perdu en 2004, mais l'UE n'a pas cessé d'ouvrir son marché du sucre à de plus en plus de partenaires commerciaux au gré des accords de libre-échanges conclus. Au-delà des conséquences de l'élargissement de l'UE, des traditionnels pays Afrique Caraïbes-Pacifique (ACP) et des pays les moins avancés (PMA), s'est ajoutée depuis 2006 une longue liste de pays auxquels l'UE a accordé des concessions tarifaires contingentées en volume. Cette liste ne semble pas être close alors que la Commission Européenne accélère ses négociations avec les pays du Mercosur et le Mexique. Comment ces concessions vont-elles être « gérées » dans un marché domestique libéralisé est une question importante. Au-delà de la politique commerciale, le Brexit apporte son lot d'incertitude et est un défi pour l'équilibre futur du marché de l'UE à 27, alors que le Royaume-Uni, importateur net de sucre, représente près de 30 % des importations totales de sucre de l'UE et 40 % du total des importations du Royaume-Uni proviennent de pays de l'UE.

Ce profond changement ouvre donc des perspectives et des opportunités mais est aussi source d'incertitudes et défis pour les acteurs économiques de la filière en Europe. Les stratégies et les dynamiques de croissance ne seront pas uniquement différenciées entre les pays membres producteurs ; l'industrie est concentrée autour de 6 producteurs majeurs, implantés dans plusieurs pays dans et hors de l'UE, c'est donc aussi autour de ces acteurs ayant une stratégie globale que les enjeux vont se concentrer.

Cet article est extrait de la revue Prisme, l'analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire (octobre 2017).

Vers une convergence su prix européen et du prix mondial ?

L'évolution du prix moyen de marché domestique n'a reflété aucune corrélation avec le prix mondial entre 2006/07 et 2016/17. La question est de savoir si à partir de 2017/18, le prix moyen européen convergera et fluctuera en relation avec le prix mondial (Figure 6). Cette question alimente les discussions entre spécialistes. Certains considèrent que le prix de marché européen dépendra essentiellement des fondamentaux du marché européen et pas du marché mondial, d'autres considèrent au contraire que le prix de marché européen sera en lien direct avec ce marché et se situera proche de la parité à l'export. Il est probable au final qu'il y aura (comme aujourd'hui) des différences de prix entre les zones géographiques en Europe. Les zones excédentaires et exportatrices afficheront un prix plus en lien avec le marché mondial par rapport aux zones déficitaires et importatrices.

Aujourd'hui il n'y a pas de cotation du marché domestique, la cotation du sucre raffiné n°5 de Londres est à destination du marché mondial. La mise en place d'un marché à terme européen du sucre est à l'étude mais n'est pas soutenue par les fabricants de sucre européen qui considèrent qu'il n'y aura pas de liquidité suffisante pour un bon fonctionnement de ce marché. Les sociétés sucrières européennes sont néanmoins dans l'obligation de notifier aux États Membres leur prix de vente sur le marché européen (hors sucre de détail). Ces notifications sont communiquées à la Commission Européenne qui publie chaque mois, mais avec deux mois de décalage, un prix moyen du sucre blanc sur le marché domestique. Les prochains mois montreront si cela sera suffisant pour assurer à l'ensemble des opérateurs une information adéquate et de qualité.

La Commission Européenne a mis en place un Observatoire du Marché du Sucre réunissant des représentants de l'ensemble du secteur,

La Commission Européenne a mis en place un Observatoire du Marché du Sucre réunissant des représentants de l'ensemble du secteur, avec pour objectif de suivre au plus près les évolutions du marché, d'améliorer la transparence et d'anticiper de possibles crises de marché. Si la Commission Européenne est confiante, voire optimiste, dans la capacité du secteur à s'adapter à la nouvelle donne, l'ensemble des acteurs de la filière sucre européenne reste prudent et aborde cette nouvelle ère avec un mélange d'optimisme et de craintes vis-à-vis d'un marché mondial très volatil dont les drivers ne sont pas contrôlables (demande chinoise et indienne, taux de change des monnaies brésilienne et américaine vis-à-vis de l'euro, politique de soutien à l'éthanol au Brésil, politique de soutien au sucre en Inde et en Chine, accidents climatiques, etc.). Il est ainsi logique que le secteur betterave sucre européen et en particulier les planteurs participent activement aux discussions visant à améliorer les outils de gestion des risques de la future PAC.

La réussite de ce changement de paradigme dépendra de l'évolution des marchés et aussi des leçons tirées par les crises dans les autres secteurs (lait) et des réponses apportées par la PAC, et en particulier la PAC post-2020, aux défis que représente pour les planteurs et pour l'ensemble des industriels et des opérateurs un marché libéralisé et de plus en plus ouvert.

Cet article est extrait de la revue Prisme, l'analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire (octobre 2017)

L'analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire - Lire tout le dossier :  PRISME n° 19 – octobre 2017.