La reconstitution du vignoble de Touraine détruit par le phylloxéra

La crise du phylloxéra a marqué le monde viticole dans toute l’Europe. Chronique de son passage en Touraine et des moyens mis en œuvre pour la surmonter localement.

On dénombre aujourd’hui 9 400 hectares de vigne dans le département. Mais au 19e siècle, la Touraine en comptait environ 39 000. On culminait même à 63 250 hectares en 1888, et la surface viticole augmentait de 1 200 hectares par an à cette période. Le plateau au nord de Tours, le canton de Château-Renault, de Loches-Montrésor, les bords du Loir étaient alors terres de vignobles. C’était avant que n’arrivent en Touraine trois parasites originaires d’Amérique du Nord : l’oïdium en 1857, maladie cryptogamique contrôlée par un traitement au soufre ; le phylloxéra en 1882, insecte piqueur ; puis le mildiou en 1885, maladie cryptogamique contrôlée par la bouillie bordelaise. Le premier foyer de phylloxéra est détecté en France en 1863 dans le Gard.

Elle est officiellement détectée en Indre-et-Loire en juillet 1882. C’est le début d’une crise majeure qui durera jusqu’en 1906. Les vignerons réagissent en appliquant un traitement insecticide à base de sulfure de carbone, injecté dans le sol. La mise en place au niveau logistique et de la main-d’œuvre est considérable. Si bien qu’en 1889, 200 hectares seulement ont été traités sur les 3 200 contaminés. La reconstitution du vignoble avec des plants greffés, notamment avec les porte-greffes américains Riparia, Rupestris et Belandieri, fait ses preuves dans le sud de la France. En Touraine, la méthode est donc envisagée, mais il est interdit de faire entrer des boutures dans le département…

UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE

Des pépinières issues de semis voient donc le jour. Louis Martineau, viticulteur à Sainte-Maurede-Touraine, crée le cépage « Riparia Martineau gloire de Touraine ». Il servira à reconstituer 340 hectares. Mais l’idée d’arracher les vignes est difficilement acceptable par les vignerons, qui nient l’ampleur du danger. Jusqu’en 1888, on continue ainsi à planter des cépages français en Touraine. En 1888, l’interdiction d’importer des boutures en Touraine est levée et les vignerons. L’administration prennent réellement conscience de la gravité de la situation : 2 000 hectares sont en effet perdus chaque année entre 1889 et 1902.

La société d’agriculture met en place des cours de greffage pour les vignerons, et 75 écoles primaires enseignent même le greffage aux enfants. Seize pépinières communales sont également créées. Les deux plus importantes se situent à Tours au bord du Cher (2,5 ha) et à Nazelles (1,5 ha). En parallèle, une dizaine de pépinières privées voit le jour. D’après les chiffres de vente de la pépinière de Tours, les porte-greffes Vitis riparia Martineau gloire de Touraine et riparia Portalis gloire de Montpellier, sont les plus utilisés. 

L’EXTENSION DU GROLLEAU, RUSTIQUE

Pour conserver la typicité de nos vins, des greffons français sont utilisés. En rouge, il s’agit principalement du grolleau - désormais très prisé pour ses qualités productives et de rusticité -, mais aussi du gamay, du côt et du breton (cabernet franc, sur la zone de Bourgueil et Chinon). En blanc, on utilise surtout le gros pineau (chenin blanc) du côté de Vouvray et Montlouis, ainsi que le menu pineau de la Loire, la folle blanche (dans le Richelais, surtout pour la distillation). Pour la plantation, il était conseillé de travailler le sol sur 50 cm. Des entreprises de défonçage sont créées, équipées de treuils et de machines à vapeur.

Auparavant, on pratiquait le plus souvent une conduite sur échalas, c’est-à-dire en ceps individuels tuteurés, implantés en foule ou en ligne à 1 mètre les uns des autres. Au total, 30 000 hectares ont été détruits en Touraine par le philloxera. Et 60 000 personnes ont subi cette crise, soit 20 % de la population tourangelle (vignerons, propriétaires, tonneliers, journaliers…). Les pratiques, elles, ont évolué à la faveur des replantations.

Entre 1876 et 1889, on estime en effet le rendement du vignoble tourangeau à 13,3 hectolitres par hectare. Sur la période 1900-1914, il passe à 28,2 hectolitres par hectare. Les plantations sont plus vigoureuses et les pratiques sont devenues plus rigoureuses.  n * D’après une conférence de Pierre Desbons, ingénieur agricole et membre de l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Touraine.