Le professeur passe le relais à St-Laurent-du-Mont

En 1999, l’Agriculteur normand interviewait Luc Bignon, producteur de cidre à Saint-Laurent-du-Mont (14) alors installé depuis quatre ans, pour la rubrique Parole d’installé. Si le paysage agricole a bien changé depuis son installation, il n’en est pas de même pour la philosophie de la famille Bignon.

« Aucun regret, j’avais envie, j’étais motivé. Je suis content du travail effectué sur la ferme », confie Luc Bignon, producteur de cidre à Saint-Laurent-du-Mont (14). L’automne 2020 été l’occasion pour lui de souffler les 25 bougies de son installation. En effet, en 1995, âgé de 36 ans et jusqu’ici professeur d’EPS, Luc Bignon devient officiellement exploitant agricole dans la ferme de son beau-père, Robert Turmel. Cette dernière compte alors 13 ha, dont 9 de verger haute-tige. Sous ceux-là engraissent annuellement 7 bœufs normands et charollais de 7 à 36 mois. En 1999, dans Parole d’installé, le couple Bignon déclare avoir pour projet de restaurer un vieux bâtiment en gîte d’accueil à la ferme. Il est également prévu que Nicole Bignon rejoigne son mari dans la ferme pour y travailler à mi-temps. A la cave, l’objectif est d’assurer une production de 20 000 bouteilles de cidre par an, dont 5000 de la toute nouvelle AOC Pays d’Auge. Le jeune installé, en 1999, est alors désireux de presser une boisson traditionnelle de qualité et n’envisage alors pas de produire davantage. De plus, la ferme sera convertie progressivement à l’Agriculture biologique.

Un quart de siècle de pressé

25 ans plus tard, l’exploitation existe toujours. Les productions cidricoles dominent encore. Luc Bignon doit s’adapter au contexte climatique. Comme dans beaucoup de production, la récolte des pommes débute avec de l’avance : vers le 15 septembre, au lieu du 1er octobre auparavant. La plantation de nouveaux pommiers devient également délicate, du fait des déficits récurrents de précipitation. La production cidricole est restée stable en volume, mais sans relâche, Luc Bignon a cherché à développer sa qualité. Depuis mars 2020, la ferme subit la crise sanitaire avec une baisse conséquente du chiffre d’affaires en mars, mai et novembre. Néanmoins, les exploitants ont pu compenser ces pertes grâce à l’affluence de leur clientèle dès la fin du confinement et aux commandes solidaires de réseaux associatifs (Amap). Le fond de solidarité a permis de limiter les dégâts lorsqu’aucune trésorerie ne rentrait.


AB d’hier et d’aujourd’hui

Sous les pommiers, les bœufs ruminent toujours et inlassablement. Comme pour le cidre, les Bignon n’ont pas vraiment eu à changer de pratiques pour obtenir le label Agriculture biologique en 1998. Non plus traités mais broyés, seuls chardons et orties auraient pu témoigner d’un quelconque changement d’habitude.
Luc Bignon s’est aussi engagé pour le développement de l’Agriculture biologique dans sa région. Dans les années 2000, il est président du Groupement des agriculteurs biologiques du Calvados (GAB 14) et regrette aujourd’hui de ne pas être parvenu à unir suffisamment les agriculteurs en bio. Côté PAC, pour Luc Bignon, c’est un bon de 80 fr/ha à 230€/ha en 25 ans et « des aides auxquelles nous n’avons jamais été dépendants ».

Projet de vie réalisé

A partir de 2006, Nicole a commencé son travail à mi-temps sur la ferme, comme le prévoyaient les projets de la décennie précédente. Deux ans plus tard, le gîte est opérationnel. Le couple Bignon, adhérent au réseau Accueil paysan, y reçoit régulièrement des visiteurs.
« On a conçu un gîte tourné autour du bien-être et du respect environnemental, explique Nicole Bignon, le but n’étant pas d’offrir le plus de luxe possible, mais davantage une immersion dans l’espace rural grâce à la rencontre, l’échange et l’expérience avec les gens qui y vivent ».


Et après ?

La ferme augeronne est aujourd’hui sur le point d’être transmise. Luc Bignon avoue : « j’y pense depuis au moins six ans, mais la solution n’est apparue qu’au cours de cette année ». En effet, avant 2020, personne ne semblait décidé à reprendre l’affaire. C’était sans compter Eloïse Dumont et Estelle Bignon, nièce et belle-fille du couple d’agriculteurs, qui au cours de l’année 2020, se sont déclarées intéressées pour prendre le relais au verger. « La transmission dans le cadre familiale nous réjouit. Nous voulons que cela se passe bien : qu’elles ne soient pas en difficulté », déclare Luc Bignon, qui ajoute vouloir, « s’organiser pour qu’elles démarrent avec tous les produits de vente directe. Nous leur donnerons le stock ». De son côté, Eoïse Dumont exprime un réel optimisme : « nous sommes assez pressées et un peu stressées. Notre complémentarité est un atout dans une reprise à deux. Et surtout, nous avons les mêmes idées ». L’été prochain, Nicole et Luc Bignon iront habiter dans leur gîte qui jouxte la ferme, mais continueront d’accompagner les nouvelles exploitantes dans leur installation. A l’avenir, les futures cidricultrices souhaitent investir dans du matériel de ramassage neuf et réaménager la cave, sans changer de productions dans l’immédiat. Luc et Nicole Bignon sont heureux de transmettre l’exploitation, qui comme pour eux, permettra à la génération suivante de « vivre décemment tout en se dégageant du temps, l’important n’étant pas le nombre d’hectares, mais ce qui en est fait ».