Le drone à usage agricole a-t-il vécu ?

Airinov, le pionnier du drone à usage agricole, vient de cesser ses activités après huit ans de service. Accident de parcours ? Ou accident industriel, hypothéquant l’avenir du drone à usage agricole ? Éléments de réponse avec Lénaïc Grignard, responsable de l'offre agriculture et forêts chez l’opérateur français Delair.

La fin d'Airinov est-elle la conséquence des difficultés de son actionnaire Parrot et/ou pose-t-elle des questions sur les usages du drone en agriculture et sur le modèle économique du secteur ?

Lénaïc Grignard : Airinov a fait office de pionnier dans l'univers du drone agricole avec un positionnement axé sur la fertilisation de précision. L'entreprise a alors bousculé un écosystème qui était alors le fait d'opérateurs satellitaires. Airinov est peut-être arrivé un peu trop tôt, sur un marché pas encore mature. Les exigences de Parrot en termes de retour sur investissement étaient aussi peut-être trop fortes sur un marché en cours d'ouverture.

En quoi le modèle de Delair est-il différent de celui d'Airinov ?

L. G. : lorsque nous avons structuré nos activités agricoles en 2016, nous avons décidé d'investir sur les marchés les plus matures. Nous avons alors identifié le secteur de l'expérimentation, à savoir la sélection variétale et l'évaluation de l'efficacité des produits phytosanitaires. Le second marché, c'est celui de l'inventaire des cultures et des plantations. Il consiste à comptabiliser les sujets en production à l'échelle de grandes surfaces et à diligenter des actions agronomiques à partir de mesures industrialisées et objectivées. Dans les deux cas, nous avons apporté des solutions à la fois inédites et porteuses de valeur.

Qu'en est-il de l'usager agriculteur à titre individuel ?

L. G. : avant la sortie de notre drone Delair UX11 Ag, nous n'avions pas l'offre matérielle répondant aux aspirations pratiques des agriculteurs. C'est désormais le cas. L'UX11 Ag peut cartographier plus de 150 ha en un seul vol grâce à son autonomie de plus de 50 minutes. Son pilotage est entièrement automatique et peut être planifié depuis une tablette. L'analyse des images est assurée par notre plateforme cloud delair.ai, basée notamment sur des algorithmes d'apprentissage automatique. Celle-ci restitue différents supports d'aide à la décision : modèles 2D et 3D annotables et partageables, orthomosaïques, cartes de teneur en chlorophylle, biomasse verte, inventaires de champs ou de micro-parcelles, traçabilité mais aussi agriculture de précision avec par exemples des cartes d'applications variables d'herbicides.

Les contraintes techniques (portée, autonomie, productivité), climatiques (vent, pluie) et réglementaires ne constituent-elles pas des handicaps inaliénables ?

L. G. : notre drone UX11 Ag répond totalement aux contraintes techniques que vous évoquez. La réglementation est problématique à proximité des aéroports et des zones militaires, ce qui laisse énormément de champ - et de champs - en dehors. Quant aux contraintes climatiques, elles sont réelles mais à cet égard, le drone ne se distingue pas d'un pulvérisateur par exemple. Le milieu agricole est coutumier de cette composante climatique.

Le drone n'est-il pas surexposé à une concurrence multiforme et parfois gratuite, telles que les images satellitaires gratuites, les offres associées de fournisseurs d'intrants, en attendant les systèmes embarqués sur les tracteurs ?

L. G. : la multiplication des acteurs et des solutions tend à montrer que la télédétection est un enjeu fort de la révolution agricole en cours. De notre point de vue, la gratuité n'est pas le meilleur moyen de mettre en exergue la valeur des solutions dont la télédétection est porteuse. Chacune a ses forces et ses faiblesses. S'agissant des capteurs embarqués pour réaliser du traitement par tache, la technologie actuelle limite la vitesse de travail du fait des temps de mesure et des temps de conversion en action. Cette approche pose aussi la question de la gestion du fond de cuve, la quantité de bouillie consommée étant de fait imprévisible. Chez Delair, nous avons travaillé sur des désherbages de précision, notamment en rattrapage sur maïs. Résultats : le passage du drone se traduit par une économie moyenne de 50% de la dose d'herbicide. C'est autant de gain économique et écologique, sans compter les bénéfices en terme d'image.

A terme, le drone sera-t-il un matériel inféodé à chaque exploitation ou le support d'une prestation de service ?

L. G. : si ce n'est déjà le cas, le drone va devenir un équipement que tout agriculteur sera à même d'exploiter pour ses propres besoins, en l'achetant ou en mode leasing, à l'image de tout autre matériel présent dans une cour de ferme. Cette formule d'accès au drone et à ses services associés va cohabiter avec des offres assurées par des prestataires. En ce qui concerne Delair, nous nous appuyons sur des partenaires relayant nos offres.  Nous savons concevoir et fabriquer des drones ainsi que des systèmes de traitement de données sur des grandes surfaces mais ce n'est pas notre rôle de les mettre directement sur le marché. Nous ferons des annonces dans ce sens prochainement.