Agri éthique veut développer le commerce équitable Nord - Nord

Depuis quatre ans, Agri éthique France vise à garantir un prix "juste" aux agriculteurs. Cette démarche solidaire existe déjà sur le blé et les œufs, mais Ludovic Brindejonc, directeur général, souhaite l’étendre à d’autres produits, à commencer par le beurre. L’esprit d’Agri éthique concorde tout à fait avec les états généraux qui sont en cours…

Quelle est la genèse d'Agri éthique France ? 

Ludovic Brindejonc : Cette démarche est née en juin 2013, à l'initiative de la coopérative Cavac en Vendée. Nous avons tout d'abord travaillé au niveau local pour bâtir cette démarche de commerce équitable. Nous avons ensuite proposé ce schéma à d'autres acteurs, pour d'autres territoires. Aujourd'hui, Agri éthique regroupe 1000 agriculteurs, 11 coopératives, 15 moulins, 700 boulangers et 5 industriels. Cette démarche a été mise en place sur la filière du blé tendre, du blé noir, sur les œufs (coquilles et ovo produits) et d'autres projets sont en cours sur la viande.

Comment est partie l'idée ?

L.B : Début 2010, je prenais en charge la démarche RSE* de la coopérative Cavac. Nous avons d'abord examiné les trois piliers de la RSE –économique, social, environnemental - et nous nous sommes aperçus que la volatilité des matières premières avait un impact négatif pour l'ensemble des acteurs. Nous avons donc cherché des solutions. Nous avons décidé de partir du coût de production pour proposer un prix fixe à nos agriculteurs sur trois ans. Nous avons proposé ces volumes à nos meuniers, des boulangers se sont aussi engagés dans cette démarche. Finalement toute la filière s'est engagée dans ce que nous appelions un « contrat durable ». Plus tard, j'ai rencontré les acteurs du commerce équitable Nord-Sud qui sont regroupés dans une plateforme. Cela a été une belle rencontre, ils cherchaient à monter un dispositif de commerce équitable nord –nord. Agri éthique en était un !

Quel volume de blé tendre français est vendu en commerce équitable ?

L.B : Le volume global est de 60 000 tonnes en blé tendre. C'est une goutte d'eau par rapport à la filière blé, farine, pain. Par contre, dans le domaine du commerce équitable, c'est extrêmement significatif. Ce secteur démarre, on en est vraiment au balbutiement. Cette démarche doit être expliquée au consommateur. En France, 22 associations militent pour le commerce équitable. Le consommateur a conscience que lorsqu'il achète des prix bas, cela tue son emploi. Le commerce équitable permet d'adhérer à une communauté, ce qui lui plaît beaucoup.

Vous êtes donc parti du pilier économique. Cela a-t-il permis des avancées sociales ou environnementales ?

L.B : Fixer le prix, c'est le nerf de la guerre. En partant sur des contrats à trois ou à cinq ans, cela apaise les relations. Les producteurs bénéficient d'une meilleure visibilité et de plus de temps pour parler d'environnement et de social. Ils sont plus sereins et ils peuvent évoluer dans leurs pratiques.  

Le commerce équitable doit profiter au plus grand nombre. Comme le volume n'est pas suffisant aujourd'hui, nous essayons de nous orienter vers les jeunes agriculteurs, pour les aider dans leur installation. Avec Agri éthique, 6500 emplois sont préservés sur l'ensemble de la filière. C'est un modèle économique, parallèle au marché, qui fonctionne et qui est durable.

Sur le plan environnemental, il existait déjà un mille feuilles de cahiers des charges dans le domaine des céréales, donc nous n'avons pas voulu en créer de nouveau. L'idée consiste à impliquer l'agriculteur sur un socle minimum et à le faire évoluer vers des cahiers des charges plus pointus ou du bio.

Les agriculteurs sont-ils mieux payés ? 

L.B :  Le prix est différent d'une région à l'autre. Agri éthique doit s'assurer via un contrôle réalisé par une tierce partie que l'agriculteur est payé au juste prix. En moyenne, l'agriculteur est payé autour de 175 euros la tonne pour un blé tendre. On dépasse donc le prix du marché de 30 à 40 euros.

Comment le consommateur peut-il identifier les produits Agri éthique ?

L.B :  Dans les boulangeries, nous avons décliné des outils de communication : autocollant, sachet baguette, flyer... Pour les industriels, ils apposent un logo sur le produit. La démarche existe sur le blé, sur les œufs... Nous pensons aussi au beurre ! Pour cela, nous devons trouver des acteurs.

Le commerce équitable est-il une niche ou a-t-il vocation à se développer ?  

L.B :  Le modèle actuel n'est pas viable, donc je suis convaincu que le commerce équitable va se développer. J'ai lu que 60 % des ordres sur les marchés Euronext sont réalisés par des algorithmes. Cela me gêne qu'on puisse spéculer sur de la nourriture.

Votre démarche concorde avec les premières conclusions rendues lors des états généraux de l'alimentation. Pensez-vous que votre modèle puisse devenir la norme ? 

L.B :  J'ai été convié à certaines conférences des états généraux. Si nous partons vraiment sur des contrats de trois ou cinq ans qui tiennent compte des coûts de production, les propositions émanant des états généraux auront rejoint notre démarche. Mais construire une filière, cela demande du temps. Il faut que tous les acteurs aient atteint une certaine maturité. Étant donné les difficultés que nous avons pu rencontrer, cela ne se fera pas du jour au lendemain. La culture de la négociation existe toujours, nous sommes encore sur une niche. Pour que le commerce équitable devienne la norme, cela va demander quelques années. 

*Responsabilité sociétale des entreprises