Agriculture : le constat de la Cour des Comptes

Un Rapport de plus dans la longue liste de ceux qui se sont penchés au chevet de la compétitivité de l’agriculture française et de l’industrie de la transformation, pour, non seulement dresser la liste des facteurs ayant entraîné son érosion depuis la fin de la décennie 1990, mais aussi et surtout pour rechercher les leviers du redressement.

Ce Rapport, c'est celui de la Cour des Comptes, institution en charge d'évaluer l'efficacité des deniers publics injectés dans l'économie. Il n'est pas tendre avec l'Etat et, de ce fait, restaure une controverse qui s'était un peu endormie ces dernières années.

Le diagnostic établi par la Cour des Comptes est double. Le décrochage de la France dans le commerce mondial de produits agricoles et alimentaires depuis la seconde moitié de la décennie 1990 est un fait incontestable. En cela, le point de vue de l'institution de la rue Cambon à Paris converge avec les multiples constats produits par d'autres structures. Le déclassement de la France est réel, avéré. Elle est passée de second exportateur mondial de produits agricoles et alimentaires au début des années 1990 au cinquième rang, supplantée successivement par les Pays-Bas, l'Allemagne et, plus récemment, par le Brésil.

Le second volet du Rapport remis au Gouvernement français a trait à l'évaluation des politiques publiques. Les sommes injectées depuis fort longtemps pour juguler ce dévissage de la compétitivité française dans l'un des fleurons de la balance commerciale du pays apparaissent, selon la Cour des Comptes, frappées d'inefficacité. Elle pointe plus spécifiquement le trop grand nombre d'institutions qui ont été impliquées dans des plans stratégiques visant à redresser la compétitivité du complexe agroalimentaire français, mais sans grand résultat à ce jour.

La notion de compétitivité reste assez largement un terrain d'affrontements entre des doctrines économiques divergentes

Le clivage passe bien souvent entre les tenants d'une approche par les coûts, et des analyses mettant en relief la compétitivité hors-coûts. En France, l'érosion des parts de marché du secteur agricole et alimentaire a souvent été imputée à des coûts trop élevés, en particulier salariaux. C'est la perception qu'en a le Ministère des Finances, à laquelle s'oppose celle du Ministère de l'Agriculture, qui y voit une défaillance en termes de taille des entreprises.

Si la France apparaît pénalisée par des coûts salariaux élevés, c'est essentiellement dans des domaines comme ceux des fruits et légumes, secteur en déficit commercial chronique depuis plus de quarante ans. Ailleurs, le coût salarial ne représente qu'une faible part des charges des exploitations agricoles, et ne peut être à l'origine de la défaillance de la compétitivité. D'une manière générale, la France détient de réels atouts pour préserver ou accroître ses performances, à l'instar du coût du foncier, l'un des plus faibles d'Europe, ou des bonnes conditions pédoclimatiques. C'est pourquoi la Cour des Comptes suggère d'harmoniser les méthodes d'évaluation de la compétitivité entre les institutions travaillant sur ce thème, de tendre ensuite vers la formation d'une « Marque France », en résonance avec ce que l'on trouve en Espagne notamment.

La grande mode en économie désormais, est de détecter les différentiels de coûts, de façon à les réduire là où cela est possible, ou, plus exactement, souhaitable. Pour un pays comme la France, cela voudrait-il dire que les entreprises et les exploitations agricoles ont intérêt à s'aligner sur les coûts salariaux les plus bas ? Rappelons qu'en ce domaine, on trouvera toujours un concurrent qui affichera des coûts moins élevés. Plutôt que de niveler par le bas dans un pays qui affiche son savoir-faire, son capital humain de mieux en mieux formé, ne faut-il pas scruter les facteurs les plus illustratifs de cette perte de compétitivité ?

La France recule donc depuis une quinzaine d'années sur les marchés.

La Cour des Comptes mentionne à juste titre le rôle préjudiciable joué par les grandes industries de la transformation qui, ces dernières années, se sont davantage approvisionnées en produits bruts en dehors de l'Hexagone, voire ont multiplié les stratégies de délocalisations pour exporter à moindre coût vers la France. Cela expliquerait sans doute la croissance de nos importations depuis quelques années (+ 87% depuis 2000), et singulièrement en provenance de l'Europe.

Car si l'érosion des performances françaises en agroalimentaire est bel et bien installée, elle se situe d'abord sur le marché intra-communautaire, dont la férocité concurrentielle est bien connue. L'élargissement nous a peut-être fait gagner en débouchés, mais il a aussi fait émerger de nouvelles puissances agricoles qui, à l'instar de la Pologne, grignotent nos parts de marché. Il suffit de voir comment ont évolué nos importations de pommes ou de viande de volaille. Ce cruel constat vaut sans doute pour le reste du monde, le Brésil incarnant, à lui tout seul, la dynamique concurrentielle activée par la mondialisation.

En signant des Accords de libre-échange, l'UE ne fait qu'exacerber cette fragilisation de nos productions sur le marché intérieur.

La France recule donc depuis une quinzaine d'années sur les marchés. Oui, mais plus de 90% de l'excédent commercial agricole et alimentaire sont désormais imputables à nos échanges avec les Pays Tiers, en particulier ceux situés en Asie, pour l'heure encore véritable foyer de la croissance mondiale. Pour être en mesure d'exporter, il est requis de trouver des débouchés portés par du pouvoir d'achat et des exigences de qualité, lesquels se trouvent précisément dans ces régions.

Loin d'être clos, le chapitre de la compétitivité semble même pour le coup relancé par l'institution de la Rue Cambon. En prendre acte, se remettre au travail pour établir un diagnostic convergent et proposer des pistes de redressement pour les exportations, constituent un noble défi. Il y va de l'avenir d'un des rares secteurs à dégager un excédent commercial et à garantir le rayonnement de nos produits dans le monde. 

Article extrait de la lettre Economique de Juin - Contact : Thierry Pouch de l'APCA