L’irrigation à partir d’eaux usées traitées reste à développer

La réglementation permet la réutilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation des cultures. Les expérimentations s’avèrent probantes. La pratique se développe dans le monde. Reste à adapter les process et convaincre les consommateurs.

Depuis 2010, la réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer les cultures de plein champ, les cultures maraîchères, les espaces verts ou encore les golfs est autorisée en France.  L'arrêté du 2 août 2010, complété par l'arrêté du 25 juin 2014, fixe les prescriptions sanitaires visant à protéger la santé publique, la santé animale, l'environnement et bien entendu la sécurité sanitaire des productions agricoles. Ces arrêtés font suite à plusieurs expérimentations menées depuis de longues années, notamment dans les îles de Ré, de Noirmoutier, d'Oléron ou encore de Porquerolles, où les contraintes hydriques sont souvent exacerbées. Avec cette réglementation, la France n'a fait qu'emboîter le pas à l'Organisation mondiale de la santé qui, depuis 1989, prône la réutilisation des eaux usées traitées, une solution dont la France ne s'est pas encore emparée. Selon l'International survey of wastewater reclamation and reuse practices, les Etats-Unis (Arizona, Californie) pointent en tête (7,6 M m3/jour), devant la Chine (5,8 M m3/jour), Israël (0,9 M m3/jour), l'Espagne (0,9 M m3/jour) et l'Italie (0,8 M m3/jour). La France ne réutilise quant à elle que 0,02 M m3/jour, soit environ 50 fois moins que l'Espagne et l'Italie.

Projet Irri'Alt'eau en vigne

Principe de précaution oblige, la France érige des garde-fous. Le projet R&D collaboratif Irri-Alt'Eau pourrait achever de lever les réticences. Il est mené sur la station Inra de Gruissan (Aude) avec plusieurs partenaires (Agglomération du Grand Narbonne, Aquadoc, Cave Coopérative de Gruissan et Veolia). Entre 2014 et 2016, une expérimentation conduite sur 1,5 ha de vigne a comparé l'irrigation (goutte à goutte) à base d'eaux usées à celle réalisée avec de l'eau de rivière et de l'eau potable. Résultats ? Pas de différence entre ces trois modalités, ni dans le sol, ni dans la nappe phréatique, ni dans la plante, ni dans la composition de la récolte et du vin. La réglementation définit quatre degrés de qualité sanitaire en fonction de la destination des eaux traitées. Les eaux destinées à arroser les cultures maraîchères ainsi que les espaces verts ouverts au public rentrent dans la catégorie A, la plus exigeante. Pour servir l'irrigation de la vigne, elles doivent satisfaire la catégorie B. Ainsi, les eaux issues de deux stations d'épuration servant l'essai de l'Inra ont dû recevoir un traitement tertiaire (préfiltration, UV et chloration). Dans cette zone littorale et touristique, la réutilisation des eaux usées vient à point nommé à une période où la vigne a soif (le rendement moyen de la cave de Gruissan est de 32 hl/ha) et où les rejets sont au plus haut du fait de la présence des estivants. Les promoteurs du projet misent sur des apports compris entre 450 et 900 m3/ha/an.

Acceptation sociétale

L'irrigation d'eaux usées traitées permet de recycler l'eau mais également ses composants nutritifs (matière organique, phosphates, azote), un gage de préservation des ressources et de prévention des pollutions. Après ce premier démonstrateur cantonné à 1,5 ha, le projet se poursuit sur la période 2016-2018 sur une surface de 50 ha. Baptisé « observatoire dédié à la réutilisation des eaux résiduaires urbaines traitées de qualité et en quantité maîtrisées pour l'irrigation de la vigne », il aborde notamment la dimension économique. Cependant, l'utilisation des eaux usées traitées ne se pose pas seulement en termes techniques, sanitaires, environnementaux et économiques. Elle pose aussi la question de son acceptabilité par la société. Selon une enquête réalisée en 2014 par le Commissariat au général au développement durable, 68 % des français sont prêts à accepter de consommer des fruits et légumes arrosés avec des eaux usées traitées. Un tiers n'y est pas disposé, ignorant qu'en achetant des fruits et des légumes originaires d'Espagne, d'Italie, de Tunisie ou encore d'Israël, la probabilité est forte qu'ils en consomment sans le savoir.