Vigne : l'INAO entrouvre les vannes de l'irrigation

L'INAO a pris acte des conséquences du stress hydrique sur les rendements et sur la qualité des raisins. Encadrée et contrôlée, l'irrigation des vignes AOC est désormais possible. Encore faut-il disposer de la ressource et des installations. Et maîtriser le pilotage.

Le 10 septembre 2017 était publié au Journal officiel le décret n° 2017-1327 du 8 septembre 2017 relatif à l'irrigation des vignes aptes à la production de vins à appellation d'origine contrôlée (AOC). En résumé, l'irrigation des vignes est possible entre le 1er mai et le 15 août pour les AOC dont le cahier des charges intègre la possibilité de déroger à l'interdiction d'irriguer. C'est le cas actuellement de 88 AOC sur un total de 309, les non éligibles pouvant décider de modifier leur cahier des charges dans ce sens. Les parcelles irriguées ne doivent pas dépasser le seuil de rendement fixé dans le cahier des charges des Organismes de défense et de gestion (ODG) concernés. En revanche, les ODG peuvent demander des augmentations de rendements pour les parcelles non irriguées, y compris lorsqu'une dérogation à l'interdiction d'irriguer aura été accordée en amont d'une campagne. L'irrigation est interdite après le 15 août, pour les AOC mais aussi pour les IGP et les VSIG. Le point IV de l'article IV D645-5 du Code rural est abrogé. Autrement dit, les dispositifs de goutte-à-goutte enterrés sont autorisés. Les plans de contrôle vont intégrer de nouvelles dispositions relatives à l'irrigation. A l'origine de ce décret, l'INAO acte ainsi les effets dépressifs du dérèglement climatique sur la physiologie de la vigne et les caractéristiques organoleptiques des raisins.  

Dérogatoire mais durable

La possibilité d'irriguer les vignes AOC n'est pas tout à fait nouvelle. Le décret 2006-1527 du 4 décembre 2006 le permettait déjà mais il était à la fois plus restrictif et plus contraignant. L'irrigation demeure cependant un principe dérogatoire, l'interdiction restant la règle. Il revient aux ODG d'en faire la demande, annuellement, auprès de l'INAO, préalable indispensable à toute décision individuelle d'arroser ses parcelles. Cependant, les débats qui l'ont précédé et la teneur même du décret semblent inscrire le principe de l'irrigation dans la durée, un attendu légitime dans la mesure où l'irrigation implique des investissements conséquents doublés d'un savoir-faire. Selon des estimations de la Chambre d'agriculture de l'Hérault, la mise en place d'un réseau de goutte à goutte aérien et les installations requises en amont (pompage, filtration) représentent un investissement compris entre 2000 € et 3000 €/ha, non comptée la consommation d'eau comprise entre 300 et 1000 m3/ha. Pour ce qui est d'un réseau de goutteurs enterrés (voir encadré), le spécialiste Netafim jauge entre 3000 €/ha et 4000 €/ha l'investissement en infrastructures (hors pose) selon la configuration de l'installation. La technique se conçoit sur rang (donc sur vigne en place) et en inter-rang, avec chacun ses avantages et inconvénients (efficience de l'eau, travail du sol...).

Enjeux quantitatifs et qualitatifs

Les situations de stress hydrique ont des implications directes sur les caractéristiques des vins. L'augmentation du degré d'alcool et la baisse de l'acidité contribuent à la production de vins instables et sensibles. En ce qui concerne les blancs en particulier, les fortes chaleurs brûlent les composants aromatiques et génèrent des vins plats s'écartant du goût des consommateurs. Au plan quantitatif, les baisses de rendements constituent une menace pour l'équilibre de nombreuses exploitations qui peinent à produire les volumes autorisés. La France irrigue 4 % de son vignoble contre 21 % pour l'Espagne, 26 % pour l'Italie et jusqu'à 90 % pour la Californie, selon FranceAgriMer. Le goutte-à-goutte constitue le standard des systèmes d'irrigation dans ces différents pays.

Itinéraire hydrique

Si les vannes de l'irrigation s'entrouvrent pour les vignes AOC, encore faut-il disposer de la ressource en eau, consentir les investissements requis et enfin maitriser l'itinéraire hydrique. Un savoir-faire forcément inédit pour de nombreux viticulteurs mais qui peuvent d'ores et déjà s'appuyer sur différents supports (IFV, Chambres d'agriculture...). Pour ce qui est de l'accès à ressource, on notera la mobilisation de nombreuses collectivités sur l'arc méditerranéen, porteuses de projets d'infrastructures (Aqua Domitia, Hauts de Provence rhodanienne, ODG du Var...) au service de l'agriculture et de la viticulture mais pas exclusivement (eau potable, assainissement, étiage...). Un autre axe de travail consiste à élaborer des systèmes viticoles réduisant les contraintes hydriques, tels que les hydro-rétenteurs ou encore les paillis. La tuile Symbio par exemple, développée par la start-up développées Inovinéa et l'Irstea, est un paillage opaque en polypropylène recyclé, d'une durée de vie de 30 ans. Il empêche toute levée d'adventices et limite de 10 à 30 % les pertes d'eau par évaporation. Des solutions bienvenues car, conséquence de la rareté, l'eau sera aussi de plus en plus chère.