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Bien-être des agriculteurs : et si on en parlait ?
Affronter le regard des autres
Le citadin et l’agriculteur multiplient les interactions mais elles ne sont pas toujours positives. Ces actes de protestation envers l’agriculture ou l’agriculteur se sont réunis sous la bannière du mot « Agribashing » qui donne suite à toutes les interprétations. Eddy Fougier, politologue, s’intéresse aux interactions entre la société et le monde agricole. Il nous livre son analyse.
Qu’est-ce « l’agribashing » ? Comment l’expliquer ?
Le terme générique d’agribashing est utilisé pour désigner tout un phénomène. Il est aujourd’hui très critiqué. Plusieurs visions de ce mot s’affrontent. Pour certains, il s’agit d’une stratégie d’influence mise en œuvre par le syndicat majoritaire surtout pour minimiser les critiques de l’agriculture conventionnelle. Pour d’autres, il s’agit d’une critique continue des agriculteurs et de leurs activités.
Ma vision est plus modérée car c’est plus un terme qui témoigne d’une évolution que traverse l’agriculture comme d’autres secteurs. Les agriculteurs doivent aujourd’hui faire face à de nouveaux acteurs qui s’intéressent désormais de près à leurs activités : médias généralistes, ONG, associations, leaders d’opinions, citoyens engagés, riverains, etc. Ces derniers ont de nouvelles attentes qui vont au-delà de celles habituelles de prix et de qualité. Elles concernent le respect des normes sociétales et environnementales, du bien-être animal, etc. Ce sont ces nouvelles exigences qui peuvent aboutir à ce sentiment d’être l’objet constant de critiques et d’injonctions sociétales.
Comment ce phénomène en est arrivé là ?
Si l’agribashing ne s’est pas produit plus tôt c’est tout d’abord parce que jusqu’ici les agriculteurs bénéficiaient d’une triple immunité : médiatique (le monde agricole était peu voire pas critiqué dans les médias), politique (peu de critiques des partis de tous bords comme des gouvernements successifs) et sociétale (les agriculteurs bénéficiaient a minima d’une indifférence bienveillante de la part de la société). Ces trois immunités ont aujourd’hui disparu. Le terme d’agribashing est venu désigner cette montée des critiques contre les agriculteurs.
Au moins deux phénomènes vont expliquer la perte de cette immunité. Les émissions et images chocs issus des enquêtes type « Cash investigation » ou de vidéos L214 (dès 2015 pour ce dernier avec les vidéos à l’abattoir d’Alès). En 2016, le terme agribashing commence à émerger.
Si les critiques de l’élevage intensif ou des pesticides ont toujours existé, ce qui a aussi changé c’est la visibilité et la radicalité de ces critiques. Il y a une vague de des-acceptation, d’intolérance sur un certain nombre de sujets et de pratiques issus du monde agricole.
Cette virulence concernait aussi les OGM mais si la France peut se passer de cultiver des OGM, comme c’est actuellement le cas, c’est bien plus délicat avec l’élevage et les intrants en général car ils sont les piliers de notre agriculture. L’agribashing, au sens strict, est une critique qui s’est systématisée et qui atteint désormais un public beaucoup plus large.
Comment répondre à ces attaques ?
Ceux qui considèrent toutes critiques comme de l’agribashing, vont chercher à répondre à chaque critique, à faire front. S’il est nécessaire de lutter contre les fausses informations et ne pas les laisser circuler librement, je doute fortement de l’utilité de ne se concentrer que sur les attaques et la riposte. Cela soulage de « taper sur l’ennemi de classe » mais ce n’est pas la bonne réponse à apporter aux inquiétudes que peuvent avoir certains Français à propos de ce qu’ils ont dans leur assiette.
Attaquer L214, pour ne citer qu’eux, ne rassurera en rien les personnes qui se posent des questions sur l’impact de la consommation de viande rouge pour leur santé ou pour la planète. Ce qu’il faut, c’est répondre aux attentes des Français. Ceux-ci s’intéressent notamment à l’agriculture de par le biais de l’alimentation. Et deux populations sont particulièrement sensibles à la relation aliment/santé : les seniors et les jeunes parents, pour leurs enfants en bas-âge.
L’essentiel, c’est que le monde agricole communique davantage en direction du grand public ! Certains agriculteurs l’ont compris et ont décidé de montrer ce qu’ils font au quotidien aux citadins via les réseaux sociaux ou l’agrotourisme, d’autres cherchent à faire évoluer leurs pratiques.
Comment faire plus et mieux en matière de communication ?
Le mauvais réflexe de l’agriculteur c’est de penser « pour vivre heureux vivons caché », c’est de déléguer la prise de parole à son syndicat, c’est de communiquer d’abord de professionnel à professionnel en recourant à un langage technique et de ne jamais de s’adresser au grand public.
Il faut oser sortir de sa zone de confort et parler avec des personnes qui potentiellement ne connaissent pas ce que vous faites. Le succès des labels ou marques qui affichent leur soutien aux producteurs (ex : C’est qui le patron) sont la preuve que le consommateur est en attente d’informations. Il veut agir par son acte de consommation !
Et qui mieux que les agriculteurs pour répondre sur ce qu’ils font eux-mêmes ! Aujourd’hui, beaucoup d’agriculteurs investissent, à raison, les réseaux sociaux ! Dans le top de ces agri-youtubeurs : David Forge (126 000 abonnés), Etienne Fourmont (94 000) ou encore Thierry Baillet (93 000). Le réseau France Agri Twittos, une communauté de 500 agriculteurs suivi par 20 000 membres de Twitter, investit ce réseau pour une communication positive du monde agricole.
Avec la transition numérique, les réseaux sociaux sont devenus omniprésents et incontournables. Et, puisque nous avons tendance à projeter nos craintes et nos espoirs sur ce que nous ignorons, il est primordial d’être présent sur ces réseaux. Il est impératif d’être transparent pour le citoyen. C’est une évolution structurelle qui ne cessera pas avec la fin de L214 ou de Cash Investigation. Les acteurs économiques doivent tenir compte de ces changements dans les relations entre société et monde économique car on ne reviendra pas en arrière !
Quelle est l’origine du réveil des citoyens sur l’agriculture ?
Différents facteurs structurels sont à l’œuvre : la population est plus éduquée et formée, et elle a plus accès à l’information (chaînes d’info en continu, internet, réseaux sociaux). Et puis, il y a la remise en question de notre confiance aux experts, sachants et politiques. Aujourd’hui, le citoyen est spontanément plus méfiant face à des institutions perçues comme lointaines.
J’entends parfois les agriculteurs estimer que les Français ne les aiment plus. Ce n’est pas vrai. C’est simplement qu’ils s’intéressent à leurs pratiques. Il faut, en réponse, mettre l’accent sur la foultitude de démarches mises en œuvre ces dernières années dans le monde agricole.
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