Bien-être des agriculteurs : et si on en parlait ?

Partie 6/6

Oser demander de l’aide

Une partie essentielle du travail de soutien des agriculteurs est l’identification et la reconnaissance de leurs difficultés. De nombreux réseaux émergent pour être au plus proche des agriculteurs.

Comment repérer le mal-être des agriculteurs alors que l’entourage proche de ces derniers n’apprend parfois que trop tard leurs états de détresse ? Comment les identifier lorsqu’ils ne se déclarent pas ?

Interview de Sylvette Brissaud, aujourd’hui psychologue indépendante du travail, qui a travaillé pendant 16 ans à la MSA.

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Quels sont les principaux maux qui affectent les agriculteurs ? Comment se caractérisent-ils ?

L’isolement, la charge de travail, la difficile conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle provoquent à moyen ou long terme un stress chronique chez les agriculteurs. À cela s’ajoute une certaine part de variabilité et l’incidence d’événements à l’origine d’un stress supplémentaire : maladies (entre production végétale ou animale), catastrophes naturelles (incendie, gel, inondations), qualité de la récolte…

Quel est le profil de ces agriculteurs ?

Les éleveurs semblent davantage susceptibles de développer du stress tant le travail avec des animaux demande une astreinte quotidienne et constante. Emotionnellement, il est également difficile de confier son troupeau à de la main d’œuvre inconnue. A cela s’ajoute la tâche ardue de trouver de la main d’œuvre compétente, a fortiori lorsque l’élevage est dans une zone sans élevage. Mais il n’y a pas que les éleveurs qui peuvent malheureusement être submergés par le travail, tous les agriculteurs peuvent être touchés.

Quels conseils donnez-vous pour mieux reconnaître et identifier le mal-être ?

Le changement de comportement au quotidien est déjà un signal faible type qui peut permettre d’identifier un stress chronique sous-jacent. Cela peut être une fatigue inhabituelle, un changement d’humeur, l’apparition de comportements addictifs (tabac ou alcool par exemple).

Ces indices sont plus facilement discernables par les personnes côtoyant fréquemment les agriculteurs. Que vous soyez de la famille ou des amis, salariés de l’exploitation, technico-commercial, contrôler laitier, etc., c’est à vous d’essayer d’être à l’écoute de ces changements.

En tant qu’« écoutant », il ne faut pas avoir peur des conversations que l’on ne maîtrise pas toujours. L’écoutant permet déjà à l’agriculteur de pouvoir s’entendre lui-même. Mettre des mots sur des maux libère et soulage la personne qui vit une situation dégradée.

Mais il faut aller au-delà de l’écoute : interroger l’organisation du travail, les conditions et les pratiques de réalisation du travail, le soutien des pairs. Proposer une vraie réflexion sur le système global plutôt qu’une réponse isolée à un problème posé. Et ainsi ne pas prendre le risque que les difficultés s’installent et s’accumulent.

Oser en parler

L’accumulation des problèmes, c’est justement ce qui est arrivé à Laurent Cailleau, installé à Chauvigny en polyculture-élevage. Il a 50 vaches limousines et 80 ha. En 2012, il cumule les difficultés personnelles et financières (un prêt de 250 000 € qu’il ne peut rembourser). Il désespère et souhaite en finir.

Finalement, il ose en parler et participe à la formation « Réfléchir à mon avenir » de la Chambre d’agriculture de la Vienne. « On parle du désarroi des agriculteurs mais on n’agit pas. Cette formation m’a beaucoup fait réfléchir et relativiser. Aujourd’hui, je veux transmettre et rendre ce que j’ai reçu. Je participerai à cette formation, mais en tant qu’intervenant la prochaine fois », explique Laurent Cailleau.

« Lorsque l’on est seul, on va à la simplicité. J’ai toujours fait ça mais c’est difficile sur le long terme. C’est pourquoi il est important de se poser, de sortir la tête du guidon si on veut sortir de cette spirale », conclut-il.

« Réagir » avec les Chambres d’agriculture

Cette problématique a bien été saisie par les Chambres d’agriculture. Elles pilotent ou co-pilotent les cellules départementales opérationnelles rebaptisées récemment sous une bannière commune - « REAGIR » - afin de renforcer ce volet prévention.

En cas de difficulté, les Chambres d’agriculture appellent les agriculteurs à entrer en contact avec leur cellule départementale « REAGIR ». L’idée est de se concentrer sur la réactivité et la personnalisation de l’accompagnement attendu par l’agriculteur. La cellule propose trois types d’aide :

- la détection : diagnostic et bilan technico-économique, secours d’urgence en lien avec la MSA et médiation,

- l’appui au montage de dossier pour accéder à l’Aide à la Restructuration des Exploitations Agricoles (AREA) (accompagnement des agriculteurs allocataire du RSA, soutien psychologique et social et montage des dossiers d’aide à la reconversion professionnelle)

- éventuellement l’accompagnement lors de procédures judiciaires (règlement amiable judiciaire et assistance dans les phases de procédures collectives).

La bannière REAGIR est aujourd’hui en plein déploiement. Environ la moitié des cellules opérationnelles déjà existantes ont été rebaptisées REAGIR fin 2021.

Cette action s’inscrit dans la suite des interpellations portées par les derniers rapports parlementaires sur le mal-être des agriculteurs et dans la logique d’action du dernier plan gouvernemental de prévention des situations de mal-être en agriculture, lancé en novembre 2021.

La force du réseau

En revanche, comme l’explique François Beaupère, vice-président des Chambres d’agriculture, il ne s’agit aucunement de remplacer le travail d’accompagnement que réalise la MSA par exemple, mais d’être complémentaire de tout le travail accompli par les réseaux de veille.

Il rejoint l’avis de Sylvette Brissaud quant à l’importance de détecter les signaux faibles et moments clé. C’est avant tout une attention de tous les jours, une veille, qui permet de repérer ces moments avant les passages à l’acte.

Gilbert Guignand, secrétaire adjoint des Chambres d’agriculture, insiste sur la distinction qui existe entre la lutte contre le suicide et celle contre le mal-être. La première nécessite un réseau de veille dense et très réactif. Les passages à l’acte sont parfois non prémédités et prennent souvent de court l’entourage. Tandis que dans le second, c’est avant tout de professionnels formés dont l’agriculteur a besoin pour affronter des problématiques complexes et techniques telle que la viabilité économique de son exploitation.

Là est la force du réseau des Chambres selon lui, car elles ont à disposition de nombreux professionnels capables d’appuyer les agriculteurs sur ces questions techniques.

 

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