Comprendre l’enjeu du carbone en agriculture

Partie 2/5

Réduire les émissions de carbone de mon exploitation

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut agir sur différents facteurs dont l’importance varie selon les productions. Les mesures à mettre en œuvre sont spécifiques à chaque exploitation.

Vers une réduction des engrais minéraux

« En grandes cultures, ce qui impacte le plus c’est l’émission d’azote liée à l’application des fertilisants au champ », indique Laure Nitschelm, ingénieur R&D spécialiste de l’évaluation environnementale chez Arvalis. Ce phénomène de dénitrification induit un dégagement de protoxyde d’azote (N20) dans l’air. « L’objectif est de réduire l’utilisation des engrais minéraux, tout en conservant une bonne fertilité des sols pour préserver la productivité et les capacités de stockage du carbone par les plantes », poursuit la spécialiste.

Le raisonnement est à tenir à l’échelle du système de culture : introduire des légumineuses, optimiser la gestion des résidus de culture, semer des cultures moins consommatrices d’azote, utiliser les outils de l’agriculture de précision (apporter la bonne dose au bon moment).

Le choix des engrais est aussi à prendre en compte : le rejet de N2O est moindre en utilisant de l’ammonitrate plutôt que de l’urée ou une solution azotée. L’ajout d’inhibiteurs de nitrification à l’urée fait partie des solutions, de même que l’enfouissement des engrais dans le sol.

Les pratiques agronomiques favorisant les couverts d’intercultures, voire le semis de légumineuses en inter-rang, présentent aussi l’intérêt de réduire la pression des adventices, des ravageurs et des maladies.

Moins d’intrants, en particulier d’azote minéral, signifie moins de dégagements de C02 lors de leur fabrication. Les démarches entreprises pour produire des engrais décarbonés sont une autre voie, à combiner avec l’ensemble des leviers, tout en réduisant les quantités utilisées.

Emissions de gaz à effet de serre (en équivalent C02) selon les productions (source Idele)

Améliorer la gestion des troupeaux

Du côté des élevages, c’est principalement les émissions de méthane qu’il faut gérer (fermentation entérique et gestion des effluents). Pour Jean-Baptiste Dollé, directeur Climat Environnement Ressources de l’Institut de l’élevage (Idele), il faut en premier lieu optimiser la conduite du troupeau par l’efficience alimentaire, la gestion des animaux improductifs, l’intervalle vélage-vélage en allaitant, la réduction du nombre de génisses, etc. (voir exemples dans le tableau ci-après).

« Cet objectif de réduction des émissions de méthane est associé à un meilleur fonctionnement de l’atelier animal, donc à des gains de productivité, sans pour cela intensifier ! », précise-t-il.

La sélection génétique tient aussi une place importante en s’orientant vers des animaux qui répondent mieux à ces différents critères. « L’empreinte carbone d’un élevage ne dépend ni du système de production, ni de la taille du troupeau, mais bien de la manière dont est-il conduit », insiste Jean-Baptiste Dollé. Pour l’expert de l’Idele, le lien avec le sol (cycle de l’azote) est un point essentiel. Il faut s’assurer que l’effectif animal est en accord avec les surfaces disponibles et disposer d’une bonne autonomie fourragère et protéique, tout en gérant le retour au sol des déjections pour la fertilisation des cultures - un moyen de réduire les engrais minéraux !

En productions animales, la gestion du troupeau doit avoir pour but de réduire l’impact global sur les gaz à effet de serre, en optimisant le temps de présence des animaux sur l’exploitation.

Exemples de leviers de réduction du méthane en bovins lait et résultats attendus :

L’impact d’un levier dépend de la situation initiale, de la zone géographique, du système fourrager et des moyens mis en œuvre pour sa réussite. Le choix d’un levier ne se limite pas à son impact environnemental : il faut prendre en compte le résultat économique, la facilité de mise en œuvre ou encore le temps de travail.

Source IDELE : https://idele.fr/detail-article/optimiser-la-conduite-de-mon-troupeau

Moins de combustibles fossiles

La consommation de carburant représente 13% des gaz à effet de serre de l’ensemble des activités agricoles. Cela concerne les engins de traction mais aussi les matériels d’irrigation, de séchage (optimiser l’humidité à la récolte) et de stockage à la ferme. Pour réduire la consommation des engins agricoles, il est recommandé de :

- pratiquer l’écoconduite en assurant un entretien régulier des matériels et un bon réglage des paramètres (boîte de vitesse, pression et choix des pneumatiques, lestage du tracteur, liaison tracteur/outil) ;

- utiliser un tracteur non surdimensionné pour la tâche à effectuer, faire appel à des CUMA, des prestataires de travaux ou encore avoir du matériel en commun ;

- diminuer le temps d’utilisation des engins en raisonnant les itinéraires de culture (simplifiés, directs agriculture de précision …) et en optimisant les déplacements ;

- considérer également les énergies alternatives (biocarburant, moteur à hydrogène dans l’avenir).

Les résultats encourageants du « Bon diagnostic carbone »

Lancé par le ministère de l’Agriculture et géré par l’ADEME, le « Bon diagnostic carbone », qui s’achève en 2023, a financé la réalisation de diagnostics carbone chez les agriculteurs. Le dispositif a été mis en œuvre par un consortium, coordonné par les Chambres d’agriculture, associant la Coopération agricole élevage et Eliance, avec l'appui de l'Idele. Initialement destinée aux nouveaux installés en agriculture, cette initiative s’est élargie à tous les exploitant(e)s. Le dispositif, subventionné à hauteur de 90% (soit une participation de l’ordre de 250 euros), consistait en un bilan initial des émissions et du stockage du carbone, une identification des leviers à mettre en œuvre et l’élaboration d’un plan d’action à 5 ans. Une journée de suivi était ensuite réalisée avec un(e) technicien(ne) quelques mois après le bilan.

Résultats : en élevage, les actions identifiées par les 1409 agriculteurs accompagnés permettraient de réduire, d'ici 5 ans, l'empreinte nette (émissions de gaz à effet de serre moins stockage de carbone) de ces exploitations de -10,4 % en bovins lait, -10,8 % en bovins viande, -15 % en ovins lait, -25 % en ovins viande et -19 % en élevages caprins. En viticulture, la réduction de l’empreinte carbone serait de -11 %, en agissant en particulier sur la fabrication des bouteilles (réduction de poids et consigne).

« La gestion bas carbone des exploitations nécessite une approche globale en tenant compte à la fois des émissions de GES et du stockage du carbone, certains leviers pouvant être antagonistes », résume Mikaël Naitlho, responsable du service Innovation, en charge de l’atténuation du changement climatique à Chambres d’agriculture France. Il note également qu’un des leviers importants en élevage est celui de la gestion des prairies (voir chapitre suivant).

 

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