Comprendre l’enjeu du carbone en agriculture

Partie 5/5

Faut-il prendre place sur le marché du carbone ?

En tant qu’agriculteur, quels sont les risques et les bénéfices à se placer sur le marché du carbone ?

Les risques associés à un marché du carbone

Nous l’avons vu, une transition vers une agriculture bas carbone ne se fait pas sans une certaine modification du système et des pratiques, qui peut représenter un investissement et une prise de risque pour les agriculteurs. Chacune des pratiques à mettre en place pour améliorer son empreinte carbone représente des risques et un coût important, et la stabilité économique offerte par les crédits carbone certifiés n’est pas débloquée immédiatement. L’absence d’aides publiques à la transition n’aide pas dans ce sens.

Ce risque et cette incertitude constituent les premiers freins à la transition plus massive vers une agriculture bas carbone. Le « Bon Diagnostic Carbone » est un début mais seul il ne pourra pas aujourd’hui suffire à supprimer ces inquiétudes. Il finance les diagnostics sans financer la transition ni protéger des risques financiers.

De plus, le marché de la compensation carbone volontaire, comme son nom l’indique, reste un marché. Ceci le rend donc incertain. Les questions qui se posent sont d’abord sur la réévaluation du prix de la tonne de carbone. Si le prix de vente du carbone augmente, est-ce l’agriculteur qui profitera d’une meilleure valorisation ? « Il faut être vigilant et faire en sorte que les agriculteurs soient aussi partie prenante de la rétribution supplémentaire que tirent les autres acteurs de la chaîne de valeur sur ce nouveau marché du carbone », note Suzanne Reynders.

Qu’arrive-t-il si un agriculteur engage des frais pour finalement ne pas arriver à ses objectifs carbone et ne pas voir arriver son retour sur investissement ? Un agriculteur pourrait-il continuer de vendre du carbone pour lequel il a investi si les standards des certifications et du marché changent ? Avec un marché du carbone encore très jeune nous n’avons pas de visibilité sur son avenir, trouvera-t-on toujours des acheteurs ? Ne risque-t-on pas une chute des prix face à des projets qui stockent du carbone à moindre coût ailleurs ?

Il existe donc des incertitudes sur le prix du carbone, la volatilité du marché et la balance entre risques et bénéfices potentiels pour l’agriculteur. Autant de questions et d’incertitudes à prendre en compte avant de prendre une décision sur l’engagement dans les démarches bas carbone. 

Des avantages non financiers à prendre en compte

Il est très important de comprendre que la transition vers des pratiques bas carbone ne doit pas être uniquement réfléchie en terme financier. L’ensemble des pratiques bas carbone s’accompagne aussi de nombreux co-bénéfices comme la diminution de l’érosion et du lessivage des sols, l’amélioration de la structure et de la portance du sol, l’augmentation de la biodiversité, l’amélioration de la qualité de l’air et de l’eau, etc. Ces bénéfices associés ont une valeur mais il est très dur de la monétiser. Ils ne sont pas pour autant à négliger car ils participent activement à la lutte contre le réchauffement climatique, qui impacte les exploitations à long terme. Le dernier rapport du GIEC nous rappelle qu’une hausse de la température impliquera une baisse de la capacité de séquestration des sols.

Mettre en place de nouveaux itinéraires techniques implique un changement de production et un coût financier immédiat pour l’agriculteur, que ce soit par la mise en place des nouvelles pratiques ou les baisses de rendement qu’elles impliquent. Ainsi, non seulement la vente de crédit de carbone doit compenser ce coût supplémentaire immédiat de la décarbonation de l’agriculture mais elle doit aussi apporter un complément de revenu afin d’inciter l’agriculture à fournir ces efforts de reconversion. « La décarbonation de l’agriculture n’apporte aucun avantage économique à court terme, d’où l’importance de mettre en place une compensation et même une rémunération carbone », appuie Olivier Dauger, président de la chambre d’agriculture des Hauts-de-France.

« C’est le rôle des chambres d’agriculture d’accompagner et de conseiller les agriculteurs. Mais aujourd’hui, il faut tout améliorer en même temps et ce n’est pas possible. Il est donc essentiel de prioriser les actions à mettre en place, précise Olivier Dauger. Il faut des réponses rapides et solides dans la durée. » C’est pourquoi, la priorité est du côté de la recherche. « Nous avons besoin de connaissances et de certitudes pour nous lancer dans des programmes de décarbonation qui seront efficaces et économiquement viable pour les agriculteurs. À l’image du label bas carbone, nous avons besoin de labels scientifiquement prouvés », conclut-il.

Matthieu Archambeaud, président d’Icosysteme, remarque tout de même que « en adoptant des pratiques locales, au-delà de récupérer quelques euros à l’hectare, on peut agir sur le micro-climat ». C’est un impact agronomique à court-moyen terme que peut avoir la décarbonation de l’agriculture.

Mais c’est surtout à long terme que ces co-bénéfices vont avoir un impact positif global sur l’ensemble de l’exploitation.

Un retour sur investissement à plus long terme

La mise en place de toutes ces pratiques présente un autre impact économique positif indirect à plus long terme. Ces pratiques comme nous l’avons vu reposent sur une agriculture raisonnée et de précision, qui passe entre autre par une optimisation de l’utilisation des intrants, voire leur réduction, pouvant donc entraîner une réduction des charges. Cette démarche permet d’améliorer l’autonomie des exploitations, leur résilience et leur résistance face aux crises.

Prendre le coche de la compensation carbone est un bon moyen d’entamer sa transition agro-écologique vers un système agro-alimentaire bas carbone. En effet, comme nous l’avons vu, cette transition représente un coût qui peut être important. La compensation carbone volontaire, le label bas carbone ou le bon diagnostic carbone constituent autant de solutions pour amortir une transition qui semble inévitable. Ces mesures permettront au moins de financer en partie cette transition.

Pour Fabien Driat, agriculteur dans l’Aube (EARL des Rémonnes), qui participe au programme de rémunération carbone de Soil Capital, « grâce à la séquestration carbone, je peux rendre rentable une culture qui, autrefois ne l’était pas. Par exemple les parcelles de trèfles portes graines, à elles toutes seules peuvent rémunérer le double d’une surface de blé. Certaines parcelles deviennent donc plus intéressantes agronomiquement et aussi financièrement ». Suite à un diagnostic, Soil Capital fournit une quantité de certificat carbone proportionnel à la quantité de carbone économisé ou séquestré. Elle les rachète ensuite grâce aux financements d’entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions de carbone.

La mission première de l’agriculture reste de nourrir le monde. Ceci n’est cependant pas possible sans prendre en compte les limites de la terre et de ses ressources. La transformation de notre système de production vers un système avec une meilleure efficience environnementale semble inéluctable. « Il est important que les agriculteurs puissent s’imprégner de ces pratiques agricoles, telles que le semis direct et l’agriculture de conservation pour les générations futures », confirme Fabien Driat. « Le carbone est à la fois un levier agronomique important grâce à tous les co-bénéfices qu’il apporte et il redore l’image de l’agriculture qui passe de pollueur à apporteur de solutions au changement climatique. »

Pour conclure, il existe un nombre croissant de leviers à mettre en place pour assurer une transition vers le bas carbone qui semble inévitable pour le secteur agricole. Cette transition ne pourra être efficace qu’en accompagnant les agriculteurs, qui sont de fait parmi les seuls à pouvoir stocker du carbone. Cet accompagnement semble aujourd’hui se diriger vers le marché de la compensation carbone volontaire qu’il faut surveiller et encadrer. Le train est en marche.

 

Retour au sommaire