Comprendre l’enjeu du carbone en agriculture

Partie 4/5

Le marché du carbone a-t-il de l’avenir ?

« En tant qu’agriculteur ou agricultrice, dois-je me positionner sur le marché du carbone ? », est peut-être une question que vous vous êtes déjà posée. Voici des éléments de réponse.

Le marché volontaire de la compensation (ou contribution) carbone est celui dans lequel peuvent s’inscrire les projets agricoles (le marché obligatoire, qui repose sur des quotas carbone, concerne les grandes entreprises les plus émettrices des secteurs de l’énergie, de l’aviation, de la métallurgie…). La compensation volontaire s'adresse à des entreprises qui, d’elles-mêmes, souhaitent compenser une partie de leurs émissions de CO2, notamment la part dite incompressible. Ce marché, encore embryonnaire, s’inscrit dans le moyen-long terme puisque les projets financés (agricoles, forestiers, océaniques) nécessitent plusieurs années de mise en place.

Fabien Driat, agriculteur à Jessain dans l’Aube, travaille avec le mandataire Soil Capital Carbon  pour la vente de ses certificats carbone. Il est confiant : « La démarche est durable. Vu l’ampleur des besoins, le marché du carbone est loin d’être saturé, logiquement le prix de la tonne de CO2 a tendance à augmenter ». Il souligne aussi l’importance de travailler avec des acteurs de confiance : « Dans la chaine agroalimentaire, une grande partie des émissions de carbone proviennent des productions au champ. Un industriel qui souhaite décarboner regarde forcément du côté de ses approvisionnements et a besoin de garanties et de traçabilité sur les tonnes de CO2 réellement économisées. En tant qu’agriculteur, se situer dans une logique de filière en revendant les certificats à des industriels du secteur est plus sécurisé qu’avec des acheteurs   situés l’autre bout de monde, sans lien avec la production alimentaire ».

La rémunération carbone : témoignage d'agriculteur

« La valeur doit retourner aux agriculteurs »

« Les crédits carbone font l’actualité des médias. Il y a aujourd’hui beaucoup d’intermédiaires. Il faut rester vigilant pour que la valeur créée retourne bien aux agriculteurs », note Suzanne Reynders, responsable du programme prioritaire international sol et climat de l’Inrae. L’experte précise qu’un schéma européen (« carbon removals ») est en train de se mettre en place pour encadrer les pratiques de séquestration dans les sous-sols et celles de « carbon farming ».

Au niveau scientifique, la recherche est active. Le projet ORCaSa a pour objectif de déployer un consortium international de recherche et d’innovation sur le carbone du sol. De son côté, la France se dirige aussi vers la compensation carbone volontaire qui est train de se développer rapidement.

Toutefois, face aux injonctions parfois contradictoires et aux multiples sollicitations dont les agriculteurs font l’objet, Suzanne Reynders invite chacune et chacun à bien évaluer les coûts et les bénéfices d’un projet de compensation carbone. Elle pointe notamment la question de la gestion des risques (comme celle de la disponibilité des ressources en eau), des assurances et de l’accompagnement technique : « Au-delà des aspects financiers, les actions de décarbonation engagent les agriculteurs à travailler dans le long terme pour préserver les ressources, la biodiversité et la qualité des sols ». Malgré un contexte porteur, et selon l’opérateur choisi et les contrats proposés, il peut exister des incertitudes sur le prix du carbone, qui reste soumis à un marché. Autant d’aspects à étudier avant de s’engager dans une démarche bas carbone. 

Outre l’intérêt financier potentiel, l’approche systémique des pratiques bas carbone s’accompagne de bénéfices agronomiques, comme la diminution de l’érosion, l’amélioration de la structure et de la portance du sol, l’augmentation de la biodiversité, etc.

Des avantages non financiers à prendre en compte

Pour Matthieu Archambeaud, président d’Icosysteme, c’est surtout à long terme que les co-bénéfices de la décarbonation auront un impact positif sur les exploitations. « Le marché du carbone est une opportunité de financer des changements de pratiques, qui vont de pair avec de meilleurs résultats agronomiques, estime-t-il. D’un côté, il s’agit de lutter contre le changement climatique en activant la fonction puits de carbone de l’agriculture et en évitant l’émission de gaz à effet de serre, de l’autre, c’est un outil d’amélioration de la résistance des cultures au changement climatique. Un sol bien pourvu en matière organique fonctionne mieux et gagne en fertilité. Les crédits carbone sont un bonus pour des pratiques vertueuses ». Il incite aussi les agriculteurs à se rapprocher des acteurs qui valorisent les efforts déjà réalisés en ce sens depuis des années, et pas seulement les nouvelles pratiques.

Pour accompagner la mise en place du marché des crédits carbone, conseiller les agriculteurs et valider les crédits carbone générés, des associations et des entreprises - comme France Carbon Agri, Soil Capital, Agoterra, Carbon&Co, Sysfarm, Carbone farmers, Stock CO2, … - font le lien entre les exploitant(e)s vendeurs de crédit carbone et les acheteurs.

La décarbonation « made in France » est créatrice de valeur ajoutée

Intéresser les entreprises et les collectivités à la réduction des émissions dont elles ne sont pas directement responsables, en proposant de compenser leur empreinte carbone incompressible grâce à l’agriculture, est un axe prioritaire du Crédit Agricole, comme l’explique Dominique Moreau-Férellec, directeur de projets Transitions agricoles-carbone chez Crédit Agricole SA.

« L’obligation de réaliser un bilan carbone et de déployer un plan d’action concernera, dès 2025, les entreprises de plus 250 salariés, contre 500 actuellement. Les entreprises et les collectivités vont donc s’intéresser de plus en plus aux crédits carbone. Accompagner notre économie en général, et notre agriculture en particulier, sur la voie bas-carbone relève des missions et de l’utilité du Crédit Agricole. En partenariat avec France Carbon Agri, le Crédit Agricole va lancer une plateforme permettant aux entreprises et aux collectivités d’acquérir des crédits carbone issus de l’agriculture. Cette plateforme va permettre de relocaliser les transactions de crédits carbone volontaires au plus près des acteurs locaux, sur nos territoires. Avec ses Caisses régionales et ses filiales, le Groupe Crédit Agricole est déjà attentif à réduire son empreinte carbone, essentiellement issue de la nature des projets qu’il finance. De nombreuses entités s’engagent déjà sur la voie de la réduction, puis de la compensation, de leurs émissions directes en se portant acquéreuses de Crédits Carbone agricoles "made in France" ».

 

>> Aller au chapitre 5

ou Retourner au sommaire