Vers des élevages autonomes en protéines

Partie 3/6

Valoriser les prairies pour accroître l'autonomie protéique

En élevage de ruminants, l'herbe, en plus d'être une source d'aliments bon marché, est bien souvent le principal levier à actionner pour accroître l'autonomie protéique du troupeau. L'herbe est la première source de protéines produite sur le territoire français avec 9 millions sur 17 millions de tonnes de protéines produites annuellement pour l'alimentation humaine et animale. Elle doit donc être prise en compte dans les ressources à disposition pour définir la stratégie d'alimentation des ruminants.

L'herbe, une source d'alimentation équilibrée

L'herbe fraîche est une ressource alimentaire à laquelle la plupart des ruminants sont naturellement adaptés. Et malgré un taux de matière sèche (MS) assez inférieur aux autres aliments (12 à 18%), elle offre de bonnes valeurs énergétiques et protéiques.

C’est également un des fourrages les plus digestibles et appétant, avec une très bonne densité énergétique. Parmi les autres vertus de l'herbe pâturée on peut également citer son apport suffisant en calcium et phosphore pour les associations graminées-légumineuses, ainsi que sa capacité tampon, favorable à la prévention de l’acidose ruminale.

Cependant, la teneur en protéines d'une prairie n'est pas constante et varie selon différents facteurs :

● sa composition,

● le stade physiologique de ses espèces,

● le rythme d'exploitation (ex : nombre de fauches),

● la masse végétale récoltée,

● la fertilité des sols,

● les pratiques de fertilisation,

● l'état sanitaire,

● ...

Augmenter la productivité de la prairie grâce à l’itinéraire de production

Afin de valoriser l'herbe, un éleveur peut s'appuyer sur divers leviers techniques au niveau de l’itinéraire de production.

Le 1er levier est la composition de la prairie, qui est un élément important tant pour sa productivité, que sa valeur alimentaire ou encore sa résilience climatique. Jérôme Audurier, polyculteur-éleveur dans les Deux Sèvres, a fait évoluer sa rotation dès 2011, vers plus de prairies multi-espèces et des mélanges variétaux.

“En associant graminées et légumineuses, les prairies offrent un fourrage de haute valeur alimentaire et permettent de réduire les besoins d’achats de concentrés. Coût d’alimentation imbattable ! Pâturées, elles permettent de limiter les coûts par hectare : ce sont les animaux qui réalisent les travaux de récolte, de distribution et de fertilisation. Elles ont des effets “santé” non négligeables sur l’animal. Elles fournissent des éléments fertilisants aux cultures suivantes et contribuent à limiter les besoins d’engrais de synthèse et d’herbicides. Sur le plan agronomique, elles ont des effets positifs sur la structure du sol et sur la diminution de la pression des adventices.”

Le 2ème levier est la durée de vie. Faire "vieillir" ses prairies temporaires est une pratique à considérer pour le maintien d'une autonomie protéique élevée. Les prairies temporaires peuvent maintenir un niveau de productivité élevé, avec une quantité de protéines stable et des bénéfices économiques accrus comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous.

D’après O. Tremblay, R. Dieulot, Réseau CIVAM, Pourquoi / comment bien faire vieillir ses prairies semées d'association graminées - légumineuses ?, Projet PERPet, 4AGEPROD, 2020.

Le 3ème levier est le sursemis ou regarnissage, qui consiste à enrichir ou renforcer la flore d'une prairie sans pour autant détruire cette dernière. Daniel et Aurélie Paulien, éleveurs laitiers en Haute-Saône, pratiquent le semis direct de méteil ensilage dans la luzerne depuis 2015.

“Les luzernes peuvent rester en place 6 ou 7 ans et produisent de très bons tonnages en matière sèche par hectare. Le fait de couper une partie des racines des luzernes en semant le méteil ensilage permet de les multiplier et donc de "booster" la luzerne qui repart de plus belle. Aussi, pas de problème d’enherbement, les luzernes restent propres car le méteil occupe la place des adventices en hiver. Il ne faut pas avoir peur d’essayer. C’est une technique immanquable qui permet de répondre à la couverture quasi-permanente du sol, car « un sol nu est un sol foutu » ”.

Le 4ème levier que nous pouvons évoquer est le déprimage, qui consiste à faire pâturer les prairies à un stade précoce de leur développement.

Bruno Vaillant, éleveur en Haute-Vienne, a découvert cette technique lors d’une journée d’échange sur le déprimage des céréales en 2019. Il a fait un premier essai quelques jours plus tard avec des génisses sur du méteil enrubannage. Résultats : “Une bonne récolte et pas d’oïdium sur les pois, comparé à la parcelle d’à côté qui n’avait pas été déprimée !” Il a refait un essai l’année suivante. “Je suis désormais convaincu par le déprimage et je compte pérenniser cette technique sur l’exploitation”.

Il existe d’autres leviers comme l’étêtage, qui permet de conserver plus longtemps son fourrage sur pied, voire de récolter des repousses essentiellement feuillues, plus appétantes et nutritives que les épis, pour les espèces moins remontantes. La fertilisation des prairies, elle, va influer directement sur la teneur en PDIN (Protéines Digestibles dans l’Intestin grêle (PDI) permises par l’azote (N)) des plantes qui la composent. De ce fait, les apports azotés sont aussi à raisonner en lien avec la stratégie d'autonomie protéique.

Augmenter la productivité de la prairie grâce à l’itinéraire de récolte

Nous venons de voir comment valoriser l'herbe via l’itinéraire de production, voyons maintenant comment différentes techniques de l’itinéraire de récolte peuvent jouer un rôle.

Le premier levier est bien sûr le pâturage, qu’il soit tournant dynamique ou non.

Le pâturage étant probablement "l'itinéraire de récolte" le moins onéreux, certaines stratégies cherchent donc à le maximiser.

David Libot, éleveur laitier en Loire-Atlantique, a décidé de miser sur l'optimisation du pâturage en adaptant la taille des paddocks à la taille du troupeau, en semant des mélanges adaptés (Ray-grass anglais + Fétuque + Trèfle blanc) et en se calant sur la pousse de l’herbe. Ceci lui a permis d’avoir un système productif avec très peu d’intrants. Lorsqu'on lui demande ce qu'il ferait si c'était à refaire, il répond : "Peut-être que je m’y mettrais plus tôt ! Je suis heureux de pouvoir dire que le lait que je produis est plus sain et de meilleure qualité qu'il y a 10 ans."

Une alternative au pâturage est l’affouragement vert. Le fait d’apporter à l'auge de l'herbe fauchée le jour même, permet d'éviter les problèmes de piétinement en conditions humides, de valoriser les parcelles trop éloignées, et de limiter l'effet "refus".

Le 2ème levier est le stockage par voie humide avec l’ensilage ou l’enrubannage. L'objectif est de conserver un fourrage avec une teneur en matière sèche (MS) faible.

Mikael Razou, polyculteur-éleveur en Ariège, a intégré dans sa rotation depuis 2018, un méteil fourragé (céréales + légumineuses) semé en direct dans un sorgho fourrager. Ce méteil est ensuite récolté en enrubannage après pré-fauchage.

“Pour gagner en souplesse tout en conservant un fourrage de qualité et de bons volumes, j’ai décidé d’intégrer deux cultures fourragères dans ma rotation. En fonction des années, cela me permet également de faire une culture de rente en plus si besoin.”

Le 3ème levier est le stockage par voie sèche avec le foin. La teneur en MS est supérieure à 85%. Le foin permet une meilleure qualité de la matière azotée apportée, comme le montre le graphique ci-dessous. Il est essentiel que le fanage se fasse le plus rapidement possible afin d’éviter toute fermentation et formation de matière azotée non dégradable. Des pertes sont aussi possibles sous l'effet de la pluie, qui entraîne une baisse de la teneur en énergie et en protéines, et facilite le développement de certaines bactéries et moisissures.

Modification des différentes formes d'azote entraînée par la fenaison (d'après Melvin & Simpson 1963 in Demarquilly 1987)

Pour plus d’informations sur ce sujet, cliquez ici.

 

>> Partie 4 : Produire des cultures fourragères riches en protéines

 

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