Le rhum Bologne prend un virage à 90° (pas en alcool)

La distillerie guadeloupéenne multiplie depuis dix ans les investissements pour accompagner sa montée en gamme et étoffer son offre de rhums vieux, sa nouvelle vigie. Un tournant savamment distillé sur la route des rhums premium et autres spiritueux prestigieux.

Un chai de vieillissement semi-enterré d'une capacité de 2000 fûts de 300 litres, une boutique dédiée au spiritourisme accueillant près de 25 000 visiteurs par an, une nouvelle unité d'embouteillage en cours de construction et dotée d'une capacité de 3000 bouteilles par heure : en l'espace de 10 ans, la distillerie Bologne aura investi 5,1 M € sur son site historique de Basse-Terre. En 2008, l'entreprise avait déjà engagé 8 M € dans une unité de traitement et de valorisation des déchets en vapeur autoconsommée sinon en électricité (méthanisation et cogénération). Une refondation qui coïncide avec l'arrivée de Harry Callard à la présidence de l'entreprise, troisième génération du nom à la tête de la rhumerie depuis 1930. « Tous les bénéfices sont réinvestis dans les plantations de cannes à sucre et dans la distillerie », déclare François Monroux, directeur général de la Société agricole de Bologne. « L'objectif est de monter en gamme, en valorisation et en notoriété ».

100 % jus de canne

L'orientation qualitative n'est pas nouvelle. La production de Bologne est, depuis ses origines en 1887, orientée à 100 % sur des rhums agricoles, obtenus par distillation du jus de canne fermenté, quand les rhums de sucrerie (ou industriels) sont élaborés à partir de la mélasse de canne, après extraction du sucre. Toutes distilleries confondues, en 2016, la Guadeloupe produisait  74 272 HAP dans un rapport rhum industriel / rhum agricole de 60 / 40. A titre indicatif, la Martinique en produisait 99 846 HAP dans un rapport 7 / 93 (*). Bologne maîtrise la matière première grâce à l'exploitation de 150 ha de cannes à sucre, répartis sur deux plantations, dont une de 100 ha attenante à la distillerie, sur sols volcaniques peu profonds mais source d'arômes. Les 50 autres ha sont situés sur Grande-Terre. Avec un rendement moyen en canne de 80 t/ha, elles assurent environ 80 % de l'approvisionnement de la distillerie. « Le solde est contractualisé avec des planteurs dont les parcelles aux sols calcaires génèrent des richesses en sucre élevées », poursuit le directeur. « Bologne se distingue aussi par le choix de variétés telles que la canne noire, originaire de la Barbade. Nous sommes les seuls à l'avoir conservée en Guadeloupe en dépit de ses faibles rendements ». La canne noire, cultivée à parité avec la canne rouge, fait notamment l'objet d'une édition limitée de rhum blanc : le Black Cane. Bologne expérimente par ailleurs la conversion en bio sur une parcelle de 7 ha, autant pour l'obtention du label que pour faire évoluer ses pratiques sur l'ensemble de la sole. Bologne s'enorgueillit de sa colonne à distiller en cuivre, dite « Créole », la dernière en usage sur l'île.

Responsabilité sociétale

Dans le paysage « rhumesque » de la Guadeloupe, Bologne et ses 2 M de litres de rhum agricole à 50°, soit 10 000 hl alcool pur (HAP), se placent au deuxième rang des distilleries artisanales, au nombre de 8 sur l'île. Elle se situe derrière Damoiseau (3 M l) et devant la Distillerie Bellevue (1 M l) située à Marie-Galante. L'entreprise emploie 35 salariés, en croissance continue, auxquels s'ajoutent 16 coupeurs saisonniers, la coupe manuelle concernant environ 40 % de la sole. Des coupeurs originaires pour la plupart de Haïti. « Employés sous droit français », prend soin de préciser le directeur, qui vante la responsabilité sociétale de l'entreprise. « Nos investissements visent aussi à réduire la pénibilité du travail. Le fait est que nous n'enregistrons aucun turn-over au sein de la distillerie. Nous nous faisons également un devoir d'accueillir quelques dizaines de stagiaires chaque année ».

La jeunesse des rhums vieux

Bologne réalise un chiffre d'affaires de 7,5 M €, pour les deux tiers sur le marché local et pour un tiers à l'export. Tirant profit du flux touristique, la boutique génère à elle seule 15 % du chiffre d'affaires. Tous les rhums Bologne répondent au cahier des charges de l'Indication géographique « rhum agricole de Guadeloupe ». Le rhum blanc représente 85 % de la production. L'élaboration de rhums vieux constitue depuis 10 ans la nouvelle vigie de l'entreprise. Elle s'est formalisée par le recrutement il y a quelques années de son œnologue maître de chai, en la personne de Frédéric David. Elle a précédé la construction du chai et l'achat de fûts de chêne français, neufs sinon en provenance de Cognac. Le Cognac, c'est l'une des cibles de la montée en gamme des rhums vieux. « Les vieux rhums sont promis à un fort développement », jauge François Monroux. « Les consommateurs de whisky, de Cognac ou encore d'Armagnac s'intéressent désormais aux rhums vieux. Bologne entend en prendre sa part ».

Des anges à part

C'est tout l'objet des assemblages VO (3 à 6 ans et plus), VSOP (4 à 8 ans et plus) et XO (6 à 10 ans et plus). Ils seront très prochainement complétés par de nouvelles éditions, telles que des Bruts de fût (sans assemblage) et les Confidentiels (trois assemblages). Si l'entreprise n'a pas la capacité à accélérer le vieillissement de ses rhums, la distillerie espère combler son retard sur ce segment, investi de plus longue date par les voisins et néanmoins concurrents rhums martiniquais. La Martinique bénéficie en prime d'une AOC, acquise en 1996, quand la Guadeloupe doit se contenter d'une IG. Une rivalité ravivée depuis que l'UE a décidé, en 2017, de porter de 120 000 HAP à 144 000 HAP pour la période 2018-2020, le contingent de rhums ultramarins bénéficiant d'un taux d'accises réduit de 50 % dès lors qu'ils sont commercialisés en métropole (voir encadré). A 864,83 € le HAP, le surplus de 24 000 HAP représente une manne de 20,7 M €. De quoi compenser la part des anges (même à 8 % sous les tropiques) et réveiller les démons. De quoi surtout contrecarrer la concurrence des pays tiers, dont la part de marché est passée de 6 % à 12 % entre 2010 et 2015 en métropole. Qu'il soit guadeloupéen ou martiniquais, le rhum agricole doit en effet affirmer, face à de puissants concurrents caribéens et sud-américains, ses parti-pris qualitatifs : 100 % jus de canne, 0 additif, 0 gramme de sucre par litre. Des anges à part.

(*)

Guadeloupe 2016 : 13 900 ha de canne, 41 552 t de sucre, 74 272 HAP de rhum dont 29 879 HAP de rhum agricole, contingent fiscal de 42 198 HA dont 11 285 HAP de rhum agricole

Martinique 2016 : 4 008 ha de canne, 3 291 t de sucre, 99 846 HAP de rhum dont 92 956 HAP de rhum agricole, contingent fiscal de 54 485 HAP dont 43 157 HAP de rhum agricole