[Edito] La corde de Paris

Joe Biden, le président américain élu, s’est engagé à réintégrer l’accord de Paris sur le climat dès son investiture. La France ne tient pas la corde en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Transport, bâtiment, agriculture, industrie : tous les secteurs sont à la peine. Le Haut conseil pour le climat recommande à l’agriculture de s’emparer des effets de levier de la future Pac. Une corde raide, sensible mais à saisir.

Installé en novembre 2018 par le président de le République, le Haut Conseil pour le climat (HCC), composé d’experts de la science du climat, de l’économie, de l’agronomie et de la transition énergétique, est chargé d’apporter un éclairage indépendant sur la politique du gouvernement en matière de climat. Chaque année, il publie un rapport rendant compte du respect de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de la séquestration de carbone. Publié en juillet dernier, son rapport 2020 est sans appel : les émissions de GES ont baissé de 0,9% en 2019, loin de l’objectif de 1,5% par an sur la période 2019-2023, inscrit dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Après 2023, il faudra viser un taux annuel de réduction de 3,2% pour atteindre l’objectif de la neutralité carbone en 2050. Ce sont les retards accumulés dans les secteurs du transport (31% des GES) et du bâtiment (18% des GES), qui pèsent le plus sur les objectifs finaux. De leur côté, les émissions de l’agriculture stagnent et le secteur a ravi au bâtiment la seconde place des secteurs les plus émetteurs en 2019, avec 19% des émissions.

S’emparer de la Pac

L’agriculture n’est pas structurellement engagée vers la trajectoire bas-carbone, constate le Haut conseil pour le climat. L’élevage et les cultures se partagent les responsabilités, avec respectivement 48% et 41% des émissions du secteur. En élevage, ce sont celles de méthane (CH4), dues à la fermentation entérique et aux effluents, au pouvoir de réchauffement global 28 fois plus important que celui du C02, qui plombent le bilan. En cultures, c’est le protoxyde d’azote (N2O), généré par la fertilisation minérale et organique, qui est incriminé. Son pouvoir de réchauffement global est 265 fois supérieur à celui du C02.

Le Haut conseil pour le climat recommande au secteur agricole de s’emparer des effets de levier de la future Pac. La valorisation du stockage de carbone dans les sols, le développement d’une stratégie pour les protéines végétales, les pratiques agroécologiques en élevage ou encore la modification de l’offre des produits alimentaires sont autant d’actions réalisables dans le cadre européen de la Pac et du Green Deal. Selon le HCC, elles permettraient d’engager la France sur la bonne trajectoire à l’horizon 2030, sans compter ses co-bénéfices (biodiversité, lutte contre la déforestation importée, nutrition et santé etc.).

Les regards vers l’extincteur

Plusieurs des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, que le président de la République s’est engagé à mettre en œuvre, ciblent précisément le Plan stratégique national, transposition française de la Pac et que la France doit soumettre à la Commission européenne en 2021. Le gouvernement devra aussi prendre en compte les conclusions du débat ImPACtons, attendues au plus tard le 7 janvier prochain, et qui ne devraient pas déjuger celles de la Convention citoyenne pour le climat. Il est d’ores et déjà acté que la Pac 2021-2027 réservera entre 20% et 30% des aides directes aux actions environnementales et climatiques. Elles pourraient même être assorties d’obligations de résultat. Un sujet inflammable. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », disait Jacques Chirac en 2002. Désormais, le regard des scientifiques, des citoyens et des responsables politiques converge vers l’extincteur. Un autre président, américain celui-là, Joe Biden, a promis de rallier l’accord de Paris sitôt son investiture en janvier 2021, après que son prédécesseur, plutôt enclin à souffler sur les braises, en soit sorti. Et pourtant, selon les prévisions de l’EIA, l’Agence américaine d’information sur l’énergie, les États-Unis devraient réduire leurs émissions de C02 de 10% cette année. Washington, première de cordée climatique ?