Les circuits commerciaux internationaux bouleversés

Le report vers la distribution de la quasi-totalité des achats domestiques de viandes, ajouté à la chute brutale du commerce international de certaines d’entre elles rebat les cartes des circuits de commercialisation. Il est clair que dans l’ensemble, les consommateurs achètent plus français en temps de confinement et globalement, l’origine des produits change, parfois significativement. Mais de là à accepter de payer plus cher parce que c’est français…

C'est d'abord la disparition de la restauration commerciale qui signe la chute brutale des importations européennes de viande bovine en provenance d'Amérique, d'Argentine surtout, cette fameuse viande de haute qualité, offrant une alternative gustative aux viandes françaises, en promouvant d'autres races (Hereford, Aberdeen), et dont les pièces arrivent en Europe à un prix équivalent à deux, voire trois fois les cours européens. Ce serait d'autant moins rentable que les entreprises exportatrices américaines doivent aujourd'hui supporter des surcoûts liés aux mesures de désinfection tant des entrepôts que des containers et des navires.

Mais si la demande globale s'est fortement reportée sur la grande distribution, c'est au prix d'un appauvrissement de la valorisation. On peut y voir la conséquence de la morosité générale du moment. Les grandes surfaces ont aussi sans doute involontairement accentué cette tendance, en incitant leurs clients à réduire leur temps de passage dans les rayons, pour mieux faire respecter les règles sanitaires : en réduisant les gammes de produits, en fermant les stands de service à la coupe au profit du préemballé, que, de toute manière, le consommateur estime plus sécurisant face au risque de contagion ; bref, par voie de conséquence, en réduisant fortement le plaisir de « faire son marché ».

Ainsi, en viande bovine, la demande des populations confinées se porte plus que jamais sur la viande hachée. Le débouché reste donc important en volume pour le bovin français, mais ne valorise pas bien l'ensemble de la carcasse. La Fédération Nationale Bovine s'en est d'ailleurs émue, incitant à une forme de rétention des animaux dans les élevages jusqu'à obtenir de meilleurs prix auprès des abatteurs. Évidemment, plus question qu'à ces conditions, les viandes américaines traversent l'Océan ! Pourtant, d'autres pays européens comme la Pologne, l'Allemagne ou l'Irlande souffrent beaucoup plus, car ils produisent en large part pour exporter, vers la Grande-Bretagne ou vers les pays du Sud, et ne bénéficient pas d'une grande capacité de report sur leurs marchés domestiques respectifs S'offrir de la qualité, pour « compenser » en période de confinement ? L'agneau de Pâques, on l'a vu, a pu partiellement en bénéficier, parce que le confinement était récent, le prétexte festif particulièrement fort et justifiant la dépense, mais au prix du stockage à long terme de viandes irlandaises ou néo-zélandaises importées et restées invendues. Mais la restauration commerciale a sonné le glas de certaines viandes réservées au seul marché domestique, jugées moins « classiques » : veau, canard, caille, pintade, foie gras... (cf. graphique).

Enfin, l'absence de toute restauration collective a, d'une certaine manière, torpillé la stratégie que les acteurs de la volaille française mènent depuis quelques années pour reprendre des parts de marché sur ce segment occupé majoritairement par des produits importés de loin, Ukraine, Brésil, Thaïlande. Car si ceux-ci se retrouvent sans leurs débouchés habituels à l'Ouest, c'est tout autant le cas pour le poulet lourd français, qui ne correspond pas à l'offre en Grandes Surfaces. On n'importe plus, certes, mais ce qu'on produit ne trouve plus, non plus, de débouché sur place, et c'est encore plus grave.

Extrait de la revue PRISME Agriculture et Agroalimentaire, une affaire d'experts - Mai  2020