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Fongicides blé : au Nord, des exploitants tentent l’impasse
Les conditions climatiques du Nord de la France ont pu pousser certains producteurs à réaliser des impasses sur les traitements fongicides. Une stratégie qui sera évaluée à l’aune des quintaux récoltés. Si la septoriose et la fusariose n’étaient pas les principales menaces cette année, c’étaient bien des rouilles, brunes notamment, dont il fallait se méfier.
En 2025, les producteurs de blé auront connu un printemps atypique à bien des égards. « Nous avons connu une situation inverse aux années classiques. C’est le nord de la France qui est en sécheresse alors que le Sud-Est et le Sud-Ouest ont reçu des précipitations plus importantes », retrace Jérome Thibierge, ingénieur R&D maladies des céréales à paille chez Arvalis. Une situation qui a pu pousser certains producteurs au Nord de la Loire à tenter une impasse sur un, deux, voire l’ensemble des traitements fongicides.
« Quelle est votre stratégie fongicide blé pour cette année vu qu’il n’y a pas de maladie et que la tendance météo reste sur le vent du nord et le sec ? » écrivait mi-mai un producteur des Vosges sur un groupe Facebook dédié à l’Agriculture de conservation des sols (ACS). Le sujet a fait réagir puisque sa publication a récolté une centaine de réponses. Parmi elles, certains exploitants assurent qu’ils réaliseront une impasse fongicide complète pour cette campagne.
« Ici, les blés sont en train de crever dans les petites terres. S’il n’y a pas de pluie d'ici 10 jours, fongicide ou pas il n’y aura pas grand-chose. De plus, rajouter de la chimie sur une culture déjà en stress et non malade peut faire plus de mal que de bien. Quand on a toutes les feuilles saines, pas de pluviométrie et un vent d'est, le préventif peut être néfaste », constate un exploitant lorrain dans les commentaires publiés courant mai.
Même constat pour un second participant à la conversation originaire de l’Avesnois qui évoque l’impact négatif sur les cultures de l’application d’un fongicide alors que les conditions de traitement n’étaient pas idéales ce printemps. « La septoriose, on peut oublier. Il faut juste surveiller les rouilles », estimait-il. Un troisième dans le Nord des Pays de la Loire annonce : « Je n’ai jamais fait 0 fongicide, mais cette année ce sera sûrement le cas. Ça m'arrange parce que vu le prix et le rendement, ça ne va pas être joli la marge », s’inquiète-t-il.
Un contournement possible sur rouille jaune
Pour Gilles Couleaud, ingénieur Pôle maladies et méthodes de lutte chez Arvalis, toute impasse possible doit être réalisée, mais une absence complète de traitement reste compliquée à mettre en œuvre, même dans les conditions de 2025. « Dans le Nord de la France, il y a eu beaucoup d’impasse de T1 sur les variétés tolérantes à la septoriose. Mais certaines variétés, jusqu’ici considérées tolérantes, semblent avoir été contournées sur la rouille jaune en Picardie, Île-de-France ou encore dans le Centre et ont nécessité un traitement avant dernière feuille étalée, soit avant le T2 », rapporte-t-il. À l’inverse, sur les variétés qui ont tenu, les pustules ont séché avec le printemps sec.
Agriculteur dans l'Aisne, Damien Brunelle a choisi de traiter à épiaison, inquiet de ne réaliser aucun traitement sur la culture alors que le potentiel était là courant mai. « J’ai attendu ce stade pour réaliser un traitement en demi-dose, alors que la plupart des OAD préconisent un passage au stade dernière feuille étalée (DFE). C’est vrai que passer à DFE est le stade du blé qui valorise le mieux le traitement habituellement, mais 2025 est atypique », souligne-t-il. De ce fait, il s’interroge sur la vocation des OAD. « J’ai l’impression que les modèles n’ont pas évolué depuis 30 ans. S’ils sont là pour rassurer les agriculteurs en déclenchant à DFE quoi qu’il arrive, très bien. Mais dans ce cas il faut être transparent sur leur fonctionnement », insiste-t-il. De son côté, Arvalis souligne que son OAD déclenche systématiquement un traitement à DFE uniquement sur les variétés sensibles à la septoriose. L’OAD peut préconiser une impasse sur les variétés peu sensibles en cas d’absence de contamination jusqu’à floraison.
Une explosion tardive de la rouille brune
Si la fusariose ne devrait pas poser de problème majeur dans la partie Nord de la France cette année, c’est bien la rouille brune qui inquiète. « La maladie est arrivée assez tard, avec un développement explosif sur les trois dernières feuilles. Il fallait intégrer le risque dans le T2 en associant un grammage suffisant de strobilurine ou intervenir en relais T3 », analyse Jérome Thibierge. Avec son collègue Gilles Couleaud, ils estiment une perte de rendement en 2025 liée aux maladies en cas de protection non appropriée qui pourrait être de l’ordre de10 q/ha sur les variétés avec une tolérance de 6,5 ou plus pour la septoriose, et de 20 q/ha dans le cas contraire. Un constat d’autant plus vrai dans les grosses terres où le potentiel est là cette année, mais tient sur un fil du fait de la sécheresse.
Sur le terrain, certains agriculteurs déclarent effectivement déclencher des traitements pour gérer la rouille. « Ici, pas de T1, ça sera un T2 en cours d'épiaison ce weekend car de la rouille commence à apparaître », écrivait en mai l’un des membres du groupe ACS sur Facebook.
Damien Brunelle souligne que cette stratégie d’impasse sur un ou deux traitements n’est pas généralisée dans son entourage. « Autour de chez moi, les exploitants n’ont pas fait d’impasse. Ils font la marge sur la pomme de terre, ce n’est pas 50 €/ha de traitement fongicide qui va changer la donne pour eux et ça leur permet de dormir sur leurs deux oreilles », souligne-t-il.
Privilégier la prophylaxieSi les deux experts d'Arvalis rappellent qu’il faut savoir préserver un traitement pour préserver le revenu, ils insistent aussi sur les différents leviers pour gérer les maladies. « Le premier fongicide, c’est le choix variétal », martèle Gilles Couleaud. Son collègue Jérome Thibierge insiste quant à lui sur la date de semis : « Plus le blé est semé tôt, plus il est exposé aux maladies. Mais attention également aux implantations trop tardives qui peuvent impacter le rendement ». Les deux experts insistent également sur l’intérêt des OAD, tels que ceux basés sur les modèles Septo-LIS (septoriose) ou Crustyello (rouille jaune). Jérome Thibierge rappelle qu’ils intègrent non seulement les caractéristiques du blé mais aussi les données météo de l’année relevées près de la parcelle. « Les années se suivent et ne se ressemblent pas nécessairement. Aussi ces OAD permettent-t-ils d’ajuster dans chaque contexte sa protection fongicide en sécurisant la décision d’impasse lorsqu’elle est possible, avec la garantie de se voir conseiller si nécessaire une protection bien positionnée dès que la dynamique de la maladie le justifie », décrit-il. |