Hiver humide : quelles conséquences sur la fertilisation des céréales ?

Les excès d’eau qui se sont abattus ces trois derniers mois sur une grande partie du territoire rebattent les cartes de la conduite des cultures en 2024. La fertilisation n’y échappe pas. Voici quelques éléments à prendre en compte pour la gestion des apports d’engrais dans les zones touchées.

De l’azote peu disponible et difficile à valoriser ! Voici un résumé global de la situation dans les parcelles de céréales touchées par les excès d’eau depuis l’automne dernier. Dans ces parcelles, on peut d’ores et déjà suivre les recommandations suivantes :

  • réévaluer la dose totale prévisionnelle à la baisse dans les situations où le potentiel de rendement est affecté (ennoiement prolongé sur sol superficiel, semis reportés en janvier voire février) ;
  • réaliser une mesure du reliquat de sortie d’hiver pour évaluer l’impact de la lixiviation sur l’azote disponible dans les premiers horizons du sol ;
  • éviter les impasses en sortie d’hiver et privilégier un « petit » apport de 40 à 50 kg N/ha ;
  • évaluer le risque de carence en soufre ;
  • ne pas apporter de phosphore en sortie d’hiver ;
  • fractionner les apports d'azote et s’appuyer sur un outil de pilotage pour ajuster les doses aux besoins des cultures en cours de campagne.

Un potentiel de rendement parfois amputé

Le peuplement en sortie d’hiver (nombre de pieds et de talles par m²) et l’enracinement des cultures risquent d’être pénalisés par les conditions d'anoxie, ce qui va impacter les potentiels de rendements. Il est très difficile d’en chiffrer les conséquences.

Si les prochaines semaines sont sèches, les céréales devraient pouvoir rattraper un impact modéré sur le peuplement grâce à la grande « plasticité » des composantes de rendement. En revanche, un maintien dans la durée des excès d’eau ou, au contraire, l’apparition de déficits hydriques en cours de montaison ou en fin de cycle pourraient fortement compromettre les phénomènes de compensations ; des pertes de rendement conséquentes pourraient alors survenir. Le potentiel de rattrapage sera d’autant plus limité que le sol aura été matraqué par des semis réalisés en forçant.

Pour les parcelles semées en janvier, ou celles à ressemer, il faudra également revoir le potentiel de rendement à la baisse de 15 à 20 %. En effet, le cycle de croissance sera plus court et décalé vers des périodes plus exposées au stress hydrique et autres excès thermiques. De ce fait, les possibilités de compensation entre les composantes de rendement seront moindres.

Dans ces situations, il sera nécessaire d’en tenir compte dans le calcul de la dose X du bilan d’azote prévisionnel.

Un reliquat de sortie d’hiver probablement faible

Une forte lixiviation de l’azote est à attendre dans les parcelles concernées par les excès d’eau. En conséquence, les valeurs de reliquats d’azote minéral devraient être très faibles en sortie d’hiver. Pour le vérifier, une mesure de reliquat s'impose.

Conséquence pour la fertilisation : la dose totale d’azote sera probablement un peu plus élevée qu’en moyenne pour compenser ce faible reliquat (si les besoins en azote n’ont pas déjà été revus à la baisse pour cause de potentiel de rendement affecté).

On peut s’attendre également à des niveaux d’azote ammoniacal (NH4+) plus élevés qu’à l’accoutumé dans les résultats de reliquats. Des valeurs qui nécessiteront d’être interprétés avec précaution. En effet, en conditions habituelles, les quantités mesurées d’azote sous forme ammoniacale sont relativement faibles et presque toujours inférieures aux quantités d’azote sous forme nitrique. Une valeur élevée d’azote ammoniacal est généralement la conséquence de mauvaises conditions de conservation de l’échantillon de terre envoyé au laboratoire pour analyse. La rupture de chaîne du froid peut par exemple entraîner une reprise de minéralisation de l’azote organique de l’échantillon.

Cependant, des valeurs élevées d’azote ammoniacal peuvent également être observées sur des sols compactés ou saturés en eau. En effet, ces situations provoquent des conditions d’anoxie qui bloquent l’activité des bactéries nitrifiantes, ce qui maintient l’azote sous forme d’ammonium.

Prévoir 40 à 50 kg N/ha pour accompagner le tallage

Une des conséquences des excès d’eau et de l’anoxie est une croissance des cultures ralentie, qui devrait se traduire par des enracinements superficiels. Ce devrait être le cas aussi pour les semis de céréales décalés en conditions saines du fait d’une phase de tallage plus courte.

Dans les situations concernées, les céréales à paille ne valoriseront donc pas ou plus difficilement l’azote des horizons profonds (au-delà de 60 cm, voire moins dans les situations les plus impactées). Il ne faudra donc pas compter sur l’azote de l’horizon 60-90 cm pour satisfaire les besoins en début de cycle voire durant la montaison. Cet azote ne devrait être disponible qu’en fin de cycle sous réserve que les racines finissent par atteindre cette profondeur et qu’entre temps il n’ait pas été entraîné au-delà par lixiviation.

Les céréales à paille ne valoriseront pas ou plus difficilement l’azote des horizons profonds.

Il ne faudra pas non plus compter en sortie d’hiver sur la minéralisation de l’azote des matières organiques du sol car sa reprise sera probablement retardée.

Dans ce contexte, il est recommandé d’éviter toute impasse sur le premier apport en sortie d’hiver sur des cultures dont la capacité à absorber l’azote en profondeur est réduite (sauf en cas de reliquat azoté élevé sur 0-30 cm). Pour autant, il faudra se limiter à de petits apports : 40-50 kg N/ha maximum. En effet, dans des sols probablement refermés, qui risquent de garder une tendance à l’hypoxie (disponibilité en oxygène réduite), la reprise de croissance des cultures devrait démarrer lentement et leur capacité à valoriser des quantités importantes d’azote sera mauvaise.

Mais avant cela, il faudra attendre le ressuyage des parcelles et donner la priorité au désherbage pour éviter d’ajouter un facteur limitant supplémentaire en « fertilisant » les adventices.

Fractionner les apports pour ajuster aux besoins de la plante

La croissance ralentie des cultures s’accompagne généralement d’une mauvaise absorption de l’azote et donc d’une diminution de l’efficacité de l’engrais (mauvais CAU*). Ceci justifie de « biberonner » la culture en fractionnant la dose d’azote en 3 voire 4 apports afin de limiter les pertes et de pouvoir ajuster la fertilisation selon la situation. L’excès d’eau n’ayant pas le même sens ni les mêmes conséquences selon les types de sols et la suite des évènements, une adaptation au cas par cas sera nécessaire en cours de saison, pouvant amener, si besoin, à revoir à la baisse l’objectif de rendement et la dose d’azote à apporter.

Dès lors, l’utilisation d’outils de pilotage pour ajuster la fertilisation azotée est recommandée, tout en restant vigilant à l’interprétation dans ce contexte particulier. En effet, ces outils peuvent diagnostiquer un état de nutrition azoté insuffisant en raison d’une faible disponibilité en azote dans le sol, mais également lorsque l’azote est présent mais non valorisé par la culture du fait de mauvaises conditions d’absorption (épisode sec, excès d’eau…).

Des apports de soufre à prévoir

Comme pour l’azote, une forte lixiviation du soufre est à attendre dans les parcelles concernées par les excès d’eau. Dans les situations les plus à risque - c’est-à-dire sur sols superficiels, pauvres en matière organique et ne recevant pas d’apports de produits organiques, ayant reçu de forts abats d’eau depuis l’automne - un apport de 30 à 50 kg de SO3/ha est recommandé selon le potentiel de rendement (figure 1).

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