Il faut sauver le soldat abricot !

Il y a deux ans, les Français se désolaient de l’absence de fruits d’été dans les rayons, notamment des abricots, en raison des gels printaniers. Cette année, les fruits sont bien là… Mais la consommation est en berne, elle ne suit pas l’offre. Résultat : nouvelle crise pour les arboriculteurs, cette fois en proie à des difficultés d’écoulement. Contrairement aux dégâts du gel, cette situation est réversible.

« Pour une fois que nous avions une bonne année », se désole Bruno Darnaud, arboriculteur dans la Drôme et président de l’AOP Pêche et abricots de France. En 2023, en effet, pas de gels de printemps dévastateurs comme en 2020 et 2021, pas trop de grêle, et même de l’eau, en abondance au printemps, pour atténuer la sécheresse hivernale. Dès le mois d’avril, la récolte des abricots s’annonçait bonne et d’ailleurs, les prévisions se sont confirmées : « On sera environ 20% au-dessus de l’an dernier, notamment grâce à de bons calibres », poursuit Bruno Darnaud.

Seulement voilà, pour ces fruits d’été, dont toute la production et la consommation se concentrent sur à peine trois mois, il suffit de pas grand-chose, quelques pourcentages d’offre en trop par rapport à la demande, pour que le marché se retrouve en déséquilibre : à la clé, pour les producteurs, des prix en baisse, des invendus ou des lots qui deviennent invendables… Et donc de gros manques à gagner pour des arboriculteurs déjà bien malmenés par les aléas climatiques ces dernières années.

Une consommation « peu dynamique »

Les raisons de cette crise sont multiples : d’abord, un mois de mai chaud et pluvieux, qui a certes, profité aux arbres, mais pas forcément au goût de leurs fruits : « En juin, en début de saison de production, il y a pu avoir des produits qui manquaient de qualité », reconnait Bruno Darnaud. « Les consommateurs achètent en moyenne seulement deux fois des abricots dans la saison. Si un consommateur est déçu par son premier achat d’abricots, il n’y revient pas… ».

Autre facteur qui joue en défaveur des fruits d’été : le contexte global inflationniste détourne les clients du rayon fruits et légumes. « Par rapport à sa qualité gustative, le prix de l’abricot est peut-être resté élevé un peu trop longtemps », confirme pour sa part Nathalie Bonnet, productrice d’abricots dans le Gard. Si les prix sont à présent très accessibles et même inférieurs à l’an dernier à la même période (-11% par rapport à 2022), et si la qualité est redevenue bonne, cette image de rapport qualité/prix « moyen » a pu rester dans l’esprit du consommateur.

La production, quant à elle, a été plutôt ralentie en début de saison à cause des pluies, mais, à partir de la fin juin, tous les bassins sont rentrés en production. Cela a créé une certaine bousculade sur les étals, chez les grossistes comme en grande distribution. D’autant plus que cette année, l’export est bloqué par une offre abondante de fruits espagnols et italiens. « Nos marchés se déséquilibrent très rapidement », poursuit Bruno Darnaud.

Consommer français, de saison, au meilleur prix

Face à ces difficultés d’écoulement, Interfel, l’interprofession des fruits et légumes a « tiré la sonnette d’alarme » dans un récent communiqué de presse, appelant le consommateur, « à avoir le bon réflexe ! Connaître la diversité et la disponibilité des fruits et légumes en cœur de saison, c'est s'assurer une alimentation saine au meilleur prix. C'est le bon moment, la qualité est là : consommez des fruits et légumes ! ». Après l’abricot, l’Interprofession craint que la désaffection n’atteigne aussi les pêches-nectarines, voire les melons et les tomates, eux aussi abondants cet été.

Interfel lance en même temps, ce vendredi 28 juillet, des campagnes de communication sur les radios, les journaux en ligne et les réseaux sociaux pour sensibiliser les consommateurs. L’interprofession sera présente également avec des animations estivales sur des sites touristiques, et avec son foodtruck dans différents festivals de l’été.

Interfel lance une campagne de communication destinée à relancer la consommation de fruits d’été et en particulier l’abricot.

L’abricot : 79% français

Dans un contexte où près d’un fruit sur deux consommé en France n’est pas produit en France, l’abricot faisait jusqu’à présent figure du bon petit soldat : sur la période 2018-2020, le taux d’auto-approvisionnement en abricots était de 79%. Alors qu’il n’est que de 55% en pêches-nectarines, 50% en fraises, 34% en kiwis et 28% en raisins de table Seule la pomme fait mieux avec 85% de taux d’auto-approvisionnement.

Ce n’est donc pas le moment de laisser tomber l’abricot, sachant que si le marché est facilement déstabilisé par quelques pourcents d’offre en trop, il suffit aussi de quelques pourcents de consommation en plus pour le rétablir. Ce serait dommage que ces difficultés conjoncturelles mettent en péril les ambitions du plan de souveraineté fruits et légumes mis en place cette année : alors que le secteur fruit et légumes a perdu 15% de sa souveraineté depuis l’an 2000, ce plan vise à regagner 5 points de taux d’auto-approvisionnement dès 2030 et 10 points d’ici 2035.

Du côté des producteurs, même si c’est inquiétant, Bruno Danaud assure « ne pas vouloir se laisser abattre ». Pour Nathalie Bonnet, qui s’avoue personnellement moins touchée par la crise, « l’abricot est une production moderne et de qualité. Je n’ai pas de doute qu’elle a toute sa place à l’avenir. »

Tous deux reconnaissent que la Profession doit continuer à travailler collectivement, à revoir le calendrier de production, et à améliorer la qualité globale des produits. L’un des points essentiels sera le renouvellement des vergers, largement freiné ces derniers temps par les gels successifs. Alors, pour les aider dans ce renouveau, croquons l’abricot !