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Impayés, détresses, surmenage : comment détecter les situations de fragilité chez les agriculteurs ?

Début septembre, une initiative a été menée en Loire-Atlantique avec une journée dédiée à la détection des signaux de fragilités dans les exploitations agricoles. Destinée aux professionnels du para-agricole, des établissements bancaires aux organismes de contrôle laitier, cette démarche avait pour objectif de les former et les informer sur les procédures à suivre face à des situations difficiles rencontrées chez les agriculteurs.

Le 9 septembre dernier, le département de Loire-Atlantique organisait une journée sur la détection des fragilités dans les exploitations agricoles. L’objectif affiché est de sensibiliser les nombreux acteurs qui gravitent autour des exploitations agricoles à la détection des premiers signaux de dégradation de la situation. « Plus nous avons la capacité à détecter les situations de fragilité rapidement, plus il est possible d'agir tôt et plus l’intervention est efficiente », assène Jean-Luc Séchet, vice-président à l’agriculture du département.

Une fois ces situations détectées, la marche suivante consiste à informer les agriculteurs des possibilités de suivis par les structures spécialisés. « Comment je m’y prends ? Est-ce que je laisse le flyer ? Est-ce que je vais braquer mon interlocuteur ? Comment lui faire accepter la situation ? Est-ce mon rôle ? Ce sont autant de questions à se poser avant d’y être confronté réellement lors d’un rendez-vous », conseille Orianne Liet, du Gab 44. En Loire-Atlantique, les agriculteurs en difficulté peuvent ensuite solliciter deux structures pour les accompagner : Solidarité Paysans et le pôle Réagir 44. Elles vont mettre en place un suivi personnalisé avec les exploitants, rencontrer les créanciers et établir ensemble une réflexion pour évaluer l’opportunité de poursuivre l’activité ou se tourner vers une reconversion professionnelle.

"Avant, les dossiers majoritaires concernaient plutôt les exploitants fatigués autour de 40/50 ans, maintenant ce sont les jeunes "

Cette détection précoce des signaux de fragilité est d’autant plus importante que le nombre d’exploitations nécessitant un suivi augmente chaque année depuis la crise du Covid. En 2024, le pôle Réagir 44 et la branche locale de Solidarité Paysans ont comptabilisé 95 suivis d’exploitations en difficulté en Loire-Atlantique. Un chiffre en hausse de près de 25% en 3 ans. « Nous constatons des augmentations du nombre de suivi dans tous les départements de la région », évoque de son côté Christian Petiteau, responsable du pôle Réagir Pays de la Loire. À l’échelle nationale, Solidarité Paysans affiche des chiffres similaires avec 4100 familles suivies dans 83 départements contre 3000 lors de la période 2020/2021. Un chiffre qui doit néanmoins être nuancé car le nombre de départements suivis a augmenté sur la période. 

L’autre constat partagé en local comme au national, c’est un nombre toujours plus important de jeunes installés qui ont recours à ces suivis. « Avant, les dossiers majoritaires concernaient plutôt les exploitants fatigués autour de 40/50 ans, maintenant ce sont les jeunes », déplore Isabelle Grégoire, travailleuse sociale chez Solidarité Paysans.

Des causes de fragilité multiples

« La fragilité n’est pas qu'économique. Elle est aussi humaine. Dès que le pilote vacille, c’est toute l’exploitation qui se fragilise », analyse Mickael Verdier, du pôle Réagir 44. Parmi les causes les plus fréquentes de fragilité, il évoque les problèmes familiaux ou de santé, les structures d’exploitation sur ou sous-dimensionnées, les aléas externes ou les fragilités financières dues à l’absence de tableau de bord. « La viticulture nous inquiète particulièrement. C’est un secteur confronté au changement climatique avec des années de gel successif et à des situations de marché compliqué », donne pour exemple Christian Petiteau.

Lors d’une table ronde autour de la surcharge de travail, plusieurs signaux sont apparus pour détecter ces fragilités humaines. Pour l’interlocuteur, cela peut transparaître à travers « le sentiment que les personnes sont dépassées, les larmes, l’agressivité quand une tache s’ajoute, l’absence de vacances, l’enfermement dans le travail, la fuite des rendez-vous extérieurs ou encore les tâches administratives qui ne sont pas faites », détaille Jade Mauger du Civam 44. Parmi les solutions pour sortir de l’ornière et prendre du recul, l’aide au répit de la MSA peut représenter une aide importante. « Si vous êtes exploitant, l’aide au répit vous permet de bénéficier d’un financement pour vous faire remplacer sur votre exploitation. L'intervention d'un Service de Remplacement est financée durant 7 jours à 14 jours avec un renouvellement possible selon les situations », explique la MSA sur son site. L’aide au répit, c’est aussi un accompagnement social avec l’accès à des groupes de paroles, des consultations psychologiques, ou encore des séances de sophrologie.

Interpréter les factures impayées

Sur le plan économique, les factures impayées représentent un signal non négligeable de fragilité pour une exploitation. À ce titre, les Cuma sont en première ligne. « Avec l’augmentation du prix des matériels agricoles, les factures des Cuma aux exploitants agricoles ont parfois pu doubler entre 2023 et 2024, alors que dans le même temps, la récolte 2024 a été compliquée. Ça peut être difficile à encaisser », analyse Caroline Quintela, chargée de mission au sein de l'union des Cuma des Pays de la Loire.

Dans cette situation, elle liste les comportements qui doivent alerter sur la fragilité d’une exploitation : « L’accumulation de factures, le report de paiement ou encore un adhérent qui s’isole du groupe sont autant de signaux ». Elle préconise la trimestrialisation, voire la mensualisation des factures, pour éviter de découvrir des situations difficiles et des factures à cinq chiffres en fin d’année. Caroline Quintela, dont l'une des missions est de suivre ces situations difficiles, peut être amenée à proposer des compromis aux exploitants. Ainsi, la Cuma continue de travailler avec l’exploitation malgré les impayés, mais en contrepartie, un suivi est mis en place avec une des associations habilitées.

Prendre le pouls au sein de l’exploitation

Plusieurs tables rondes organisées le 9 septembre visaient à interpréter les signaux de dysfonctionnement humain au sein d’une exploitation. « Certaines situations peuvent devenir explosives », estime Sébastien Morentin, vice-président du service de remplacement. Pour le Gab 44, il ne faut pas sous-estimer la charge mentale portée par les associés en charge de l’élevage ou habitants à proximité de l’exploitation. À charge de travail égale, ces derniers peuvent porter une charge mentale plus importante dans la gestion du quotidien qui peut engendrer une fatigue importante.

Le cas des jeunes intégrés dans les Gaec et à qui les aînés ne donnent que peut accès aux décisions et aux informations stratégiques de gestion a également été abordé. Lors de cette table ronde, le CER a expliqué prendre le jeune à part afin d’évaluer s’il connaît le bilan et la situation de l’exploitation.

La vente à perte pour combler la trésorerie

Lors de la journée organisée par le département, l’association Terroir 44 mettait, elle, en garde sur les situations de vente à perte qui peuvent permettre de résoudre un problème de trésorerie, mais entraînent un cercle vicieux à long terme. « En vente directe, il peut y avoir une méconnaissance du prix juste, qui inclurait le coût de production, mais aussi de logistique. Les petits producteurs peuvent être tentés de se comparer aux prix des grossistes alors qu’ils proposent des produits de qualité supérieure », détaille François Poisbeau de l'association Terroir 44. La recherche de débouchés tous azimuts doit par ailleurs alerter. « Avec la crise économique, nous avons vu des producteurs bio se lancer sur plein de débouchés sans analyse de rentabilité. Ce n’est pas gérable au quotidien », souligne-t-il.

Témoignage : Quand l’accompagnement abouti à une restructuration de la ferme

Anthony et son associé, éleveurs en Loire-Atlantique se sont retrouvés dans le rouge en quelques mois, suite à l’intensification de leur production et l’achat de concentrés en quantité plus importante. Une situation qui les a amenés à être accompagnés par Solidarité Paysans. « Dans un premier temps, nous avons fait un état des lieux économique et mis en place un plan avec les différents interlocuteurs, notamment via une table-ronde avec les créanciers concernés par les factures impayés. Dans un second temps, nous nous sommes rendus compte d’un problème d’entente entre les deux salariés et nous avons mis en place une mission de médiation avec les deux familles », détaille Isabelle Grégoire. L’accompagnement a abouti pour Anthony à la conversion à un système extensif pâturant et pour son associé à une reconversion professionnelle.