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Savoir réagir au mal-être des agriculteurs
Le sur-risque de mortalité par suicide chez les exploitants agricoles est une réalité qu’il est impossible de nier. Même si les situations sont toujours complexes, il est possible de faire de la prévention via une meilleure détection du mal-être et de la souffrance psychique. Des réseaux d’acteurs de terrain se mettent en place. Ils se forment notamment à savoir réagir à l’expression d’un mal-être.
Ce sont des particularités du monde agricole qu’il n’est pas toujours agréable d’évoquer, et pourtant, en parler, c’est déjà un pas vers la prévention : chez les agriculteurs, le risque de mourir par suicide est plus élevé que dans le reste de la population.
Ainsi, selon le dernier rapport de la MSA, se basant sur des données de 2020, le sur-risque de mourir par suicide est évalué à +77,3% pour les non-salariés du régime agricole âgés de 15 à 64 ans par rapport à la population générale. Ce sur-risque est encore plus important chez les non-salariés de plus de 64 ans, à +82,1% par rapport à la population générale. En 2020, on n’observait pas de sur-risque de mortalité dans la population des salariés agricoles.
Partout en France, un maillage de terrain
Même si la MSA ne semble pas vouloir communiquer précisément à quel nombre de morts annuelles correspond ce sur-risque, elle n’élude pas cette question du suicide des agriculteurs, conséquence la plus dramatique des situations de mal-être et de souffrance psychique. Partout en France, elle a mis en place des réseaux de prévention du mal-être en agriculture, constitués de professionnels et de bénévoles de terrain qui côtoient les exploitants dans le quotidien de leur activité et qui peuvent être témoins de situations de mal-être : stress, surcharge de travail, difficultés financières, mésentente entre associés…
C’est le cas sur le territoire de Loire-Atlantique, où un réseau s’est constitué dès 2017, autour de la MSA et de sa chargée de prévention du mal-être agricole, Justine Noël-Racine : « Des postes comme le mien, il y en a dans toutes les MSA ». Jusqu’à présent, 18 partenaires constituaient le réseau de Loire-Atlantique, dont la chambre d’agriculture, le Service de remplacement, les banques, les coopératives, l’union des Cuma, les contrôles de performances, les services de l’Etat…
Un 19e partenaire : l’association des maires ruraux
Le 21 septembre dernier, le réseau a accueilli son 19e partenaire : l’association des maires ruraux de Loire-Atlantique. Comme les autres acteurs de terrain, ces élus de proximité peuvent être amenés à rencontrer des situations de mal-être chez des agriculteurs. En rentrant dans le réseau, ils seront formés à repérer, écouter et orienter les personnes concernées vers les services opérationnels (travailleurs sociaux de la MSA, conseillers de la cellule Réagir de la chambre d’agriculture ou les bénévoles et salariés de Solidarité paysans).
Cette formation « repérage de la souffrance psychique et du risque suicidaire » est dispensée par l’association Solipsy, une association nantaise spécialiste du sujet et qui intervient régulièrement auprès de publics isolés ou éloignés des systèmes de soin. Lors de la réunion du 21 septembre dernier, le directeur de cette association, Guillaume Baudouin, a donné quelques clés pour mettre en place une relation d’aide. « Trop souvent, on a tendance à se dire qu’on n’est pas légitime pour aider, que c’est l’affaire des proches, des amis, ou des médecins... Mais on peut tous être acteurs de la prévention, chacun à son niveau et chacun avec ses limites ».
Selon Guillaume Baudouin, pour se mettre en situation « confortable » face au mal-être d’une personne, pour être à son écoute et éventuellement l’aider, il faut s’appuyer sur quatre piliers. « Le premier, c’est se rappeler qu’on n’est pas des super-héros, on n’a pas d’obligation de résultat. Face à nous, l’autre garde sa liberté, on ne le manipule pas ». Seule exception : si on est dans un cas d’urgence : « Une crise suicidaire, c’est comme une crise cardiaque, on appelle les pompiers ».
Deuxième pilier : connaître ses limites et savoir que ses limites bougent. « Nos compétences émotionnelles peuvent varier d’un jour à l’autre. C’est tout l’intérêt de travailler en réseau, si on ne peut pas écouter, on peut s’appuyer sur d’autres partenaires ». Troisième pilier, en lien avec le deuxième : « Ne pas rester seul face à ce genre de situation… C’est peut-être gratifiant d’être le seul aidant, mais il y a risque d’aspiration ! ».
Pour le psychologue, c’est même plutôt une bonne chose de dire à la personne en souffrance : « Je ne sais pas gérer, mais je vais demander de l’aide ». « Cela montre qu’il y a des possibles. On n’est que conseiller bancaire, ou collègue, ou technicien, on n’est pas psy ! » Guillaume Baudouin rappelle aussi que, bien souvent, ce que l’on va proposer sera refusé. « Il faut accepter de semer des graines que l’on ne verra pas pousser. Mais on a donné à l’autre l’opportunité de parler, on a levé un tabou… »
Enfin, le dernier pilier, c’est simplement « se faire confiance ». « On a tous des compétences humaines et c’est juste du bon sens : demander à quelqu’un « comment ça va ? », « avez-vous besoin de soutien », la plupart du temps, ça marche ! ».
Deux numéros sont accessibles au niveau national 24h/24 et 7j/7 : Agri’écoute : 09 69 39 29 19 Numéro national de prévention du suicide : 3114 |