Jusqu'où peut-on rentabiliser le prix de l'engrais ?

Le prix de l'ammonitrate a bondi en passant de 250€/t en décembre 2020 à plus de 800€/t en décembre 2021 et idem pour l'urée, suivant ainsi la tendance mondiale d'inflation des coûts de l'énergie.

C'est une situation inédite. Jamais il n'a été observé auparavant une telle inflation des engrais chimiques en l'espace de 12 mois. L'ammonitrate culmine en ce moment même à 785€/t en sortie usine. L'urée vient tout juste d'atteindre 805€/t après être restée à près de 900€/t depuis novembre. L'année dernière, à la même époque, ces deux fertilisants étaient aux alentours de 260€/t. Cette inflation, si elle se maintient, inquiète la production céréalière de 2023. 
Quid de 2023 ?
Tout a commencé à la fin de l'été 2021 avec l'ascension des cours du pétrole et du gaz. Quelques semaines plus tard, début octobre, les pays producteurs d’engrais que sont les États-Unis, la Chine et la Russie, décident d'arrêter la production devenue peu rentable. Bien entendu, ils ont conservé un certain volume d'engrais pour leurs productions agricoles et n'ont mis en vente que le surplus. Dès lors, la spéculation a opéré face à la crainte de la pénurie. Les prix ont explosé. Heureusement, les agriculteurs puydômois n'attendent pas la dernière minute pour s'approvisionner. " Le plus gros des achats pour la campagne 2021-2022 a été réalisé en juin. Environ 80% des besoins en azote sont couverts à des prix raisonnables" explique Yoann Ginestière, conseiller agronomie à la Chambre d'agriculture du Puy-de-Dôme, à l'occasion d'une réunion technique. Il faut donc comprendre que les producteurs n'auront pas de difficultés à fertiliser leurs cultures ce printemps.
En revanche, qu'en sera-t-il la prochaine campagne ? Les courbes montrent un léger fléchissement des cotations sortie usine mais elles restent très élevées. "Si les prix restent à de tels niveaux en mai prochain, la question de la rentabilité des cultures va se poser." 
Exemples chiffrés
Pour mieux s'en rendre compte, Yoann Ginestière conseille aux agriculteurs de ramener le prix des engrais à l'unité (U) d'azote. "En 2019, nous étions à 1€ l'U, en 2020 à 0,90€/U et en 2021-début 2022 à +2€/U."  Dès lors, il est aisé de réaliser des petits calculs avec le prix des céréales pour déterminer le résultat net (ce dernier est considéré satisfaisant lorsqu'il est supérieur à 120€/ha).
En blé tendre d'abord, à partir des résultats de 45 parcelles inscrites dans le réseau DESCINN(1), avec une moyenne de production de 5,7 t/ha pour un total de 161 U/ha et des charges moyennes de 812€/ha (hors engrais) :
- 2019 : avec l'unité d'azote à 1€ et le prix du blé à 180€/t, le résultat net était de 53€/ha.
- 2021: l'unité d'azote (achetée donc en 2020 ) à 0,9€ et le blé à 220€/t, le résultat net était de 297€/ha.
Pour conserver ce niveau de résultat en 2022 avec un coût de l'azote entre 1,9€ et 2€, la tonne de blé tendre devrait être vendue entre 230 et 240€.
En maïs grain non irrigué, toujours à partir des résultats du réseau DESCINN, avec une production moyenne de 6,6 t/ha, 119 U/ha et des charges moyennes à 1 042€/ha (hors engrais) :
- 2019 : avec l'unité d'azote à 1€ et le prix du maïs à 155€/t, le résultat net était de -138€/ha.
- en 2021 : avec l'unité à 0,9€ et le maïs à 210€/t, le résultat net était de 429€/ha.
Pour conserver un résultat net similaire à 2021, en 2022, la tonne de maïs devrait être vendue entre 220 et 230€/t.
Une prise de risque de plus en plus importante
Si l'inflation des engrais persiste, le prix des céréales devra augmenter pour maintenir la rémunération des agriculteurs. Cependant, il n'en reste pas moins qu'entre les à-coups climatiques, l'instabilité des marchés en tout genre (prix de l'acier, du pétrole...) et la suspension de nombreuses matières actives, la prise de risque pour les agriculteurs devient de plus en plus importante. " Avec des fertilisants à ces prix, l'investissement va devenir très important avec, en raison du changement climatique notamment, une mauvaise chance accrue d'avoir un rendement à peine satisfaisant voire médiocre." Bien que le conseiller, ni personne, n'ait en sa possession une boule de cristal, il apparaît évident que le prix des céréales seul ne suffira pas à maintenir le revenu des exploitations.

1 : DESCINN : Développement et Étude de Systèmes de Cultures INNovants est un réseau de fermes innovantes de la région Auvergne, hors Cantal.