Face à une taxation des engrais russes, les céréaliers tirent la sonnette d’alarme

La Commission européenne étudie la mise en place de nouvelles sanctions sur les engrais azotés russes et biélorusses, mais se heurte à la crainte des agriculteurs d’une hausse des prix des intrants.

Fin janvier, la Commission européenne a proposé d'appliquer des droits de douane supplémentaires sur les engrais russes et biélorusses importés dans l'UE afin d'affaiblir une source de revenus permettant à Moscou de financer sa guerre contre l'Ukraine.

Cette mesure « aura de graves répercussions sur la production et la compétitivité du secteur agricole », avaient aussitôt mis en garde le Copa et la Cogeca, qui regroupent les principaux syndicats et coopératives agricoles européens.

Dans leur prise de position, ils demandent à la Commission européenne de « proposer immédiatement la suppression des droits d'importation sur les engrais provenant de pays tiers autres que la Russie et la Biélorussie, et de donner la priorité à l'utilisation des effluents d’élevage en accordant des dérogations à la limite fixée par la directive sur les nitrates pour les effluents et les pâturages transformés ».

Sanctionner la Russie sans fragiliser l’agriculture européenne : mission impossible ?

L'Europe reste très dépendante de la Russie pour ses achats de fertilisants : en 2024, plus d'un quart de ses importations d'engrais provenait de Russie, soit 6,2 millions de tonnes sur un total de 24 millions de tonnes importées, tous engrais confondus, selon les données de la Commission.

« Alors que nous devons réduire notre dépendance aux fertilisants d’origine russe tout en restant compétitifs, la Commission européenne s’obstine à maintenir des taxes sur les engrais d’autres origines, favorisant ainsi leur inflation à des prix prohibitifs !  Alors que l’on parle d’économie de guerre, c’est littéralement se tirer une balle dans le pied ! » s’est alarmé Éric Thirouin, président de l’Association Générale des Producteurs de blé (AGPB), dans un communiqué de presse publié le 10 mars.  

« Les prix des engrais augmentent - la solution azotée était à 270 euros la tonne en juin et est remontée à 340 euros depuis quinze jours - alors que les cours du blé baissent. Imposer des taxes maintenant va encore faire monter les prix des fertilisants, on ne va pas s'en sortir », a déclaré à l'AFP Cédric Benoist, secrétaire général adjoint de l'AGPB.

Fragilisés par « deux années noires », les céréaliers français appellent la Commission européenne à « construire une stratégie de diversification d'approvisionnement des intrants azotés » avant d'envisager de nouvelles taxes qui pourraient faire flamber les prix.

« Le temps de mettre en place un approvisionnement alternatif à la Russie », ils demandent notamment « l'abrogation des droits de douane de 6,5% sur toutes les origines, hors Russie et Biélorussie ». Les céréaliers réclament en outre la « suspension immédiate des taxes antidumping » actuellement appliquées sur les engrais importés de Trinité et Tobago ainsi que des Etats-Unis. Enfin, ils plaident pour l'entrée en vigueur des sanctions contre les engrais russes en juillet 2026, pas avant, « à l'instar des sanctions contre l'aluminium ».

Les importations françaises d’engrais russes ont bondi de 80% en deux ans

De leur côté, les fabricants français d'engrais, rassemblés au sein de l'Union des industries de la fertilisation (Unifa), appellent au contraire l'Europe à instaurer des mesures face à la « menace croissante » que représente la Russie pour leur secteur : les importations d'engrais russes en France « ont bondi de 80% » entre 2021 et 2023, affirment-t-ils.

L'Unifa a dénoncé fin janvier une « concurrence agressive », avec des « coûts de production bien inférieurs en Russie, dus à un accès avantageux au gaz naturel », à partir duquel est produit l'ammoniac, premier ingrédient des fertilisants azotés.