L’ammoniac, l’autre nuage d’émissions problématiques

Polluant atmosphérique préjudiciable à la santé, l’ammoniac dégagé par les épandages d’engrais et d’effluents d’élevage est promis à un encadrement plus strict des pratiques, avec notamment l’interdiction programmée des buses à palette sur les tonnes à lisier et des astreintes d’enfouissement des fumiers.

Les trois gaz à effet de serre (GES) émis par le secteur agricole, à savoir le méthane (CH4) pour 44%, le protoxyde d’azote (NO2) pour 42% et le dioxyde de carbone (CO2) pour 16%, constituent un cocktail inflammable pour le climat. De par leur impact potentiel sur les systèmes agricoles (assolements, rendements, parasitisme...) dont les méfaits sont déjà perceptibles, les GES s’invitent dans le quotidien des exploitations.

Ce n’est pas encore le cas pour l’ammoniac (NH3), qui n’est pas un gaz à effet de serre mais un précurseur de particules fines, à l’origine de nombreuses pathologies (asthme, allergies, maladies respiratoires ou cardiovasculaires...). L’ammoniac et les émissions de méthane et de protoxyde d’azote ont néanmoins un dénominateur commun : les engrais minéraux et organiques. L’ammoniac fait en général parler de lui au printemps, en étant à l’origine des pics de particules fines consécutifs aux épandages de sortie d’hiver. Les pics ménagent peu de doute quant à leur origine agricole puisque l’agriculture est responsable de 94% des émissions d’ammoniac, selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA). Dans le détail, 29% sont liées à l’épandage des engrais minéraux, 21% à l’épandage d’engrais organiques et 9% aux épandages à la pâture, le solde étant le fait des bâtiments d’élevage, des fosses et des fumières.

Le cas des engrais minéraux azotés

Dans un rapport publié en 2020, consacré aux politiques de lutte contre la pollution de l’air, la Cour des comptes avait abordé le cas de l’ammoniac, avec le constat suivant : « bien que des solutions existent et soient mises en œuvre depuis de nombreuses années dans plusieurs pays européens, la prise de conscience en France a été particulièrement tardive, et peu de mesures contraignantes sont actuellement mises en œuvre ». Pour y remédier, l’institution proposer notamment d’intégrer la qualité de l’air dans la réglementation des pollutions d’origine agricole et dans les critères de conditionnalité des aides de la Pac.

Depuis, la loi Climat et résilience est passée par là. L’agriculture bénéficie cependant d’un sursis s’agissant des engrais minéraux azotés, sous le coup d’une redevance, au cas où les émissions de NH3 sortiraient deux ans d’affilée, de la trajectoire fixée à l’horizon 2030 (-13% par rapport à 2005) en vertu de l’application de la Directive européenne NEC (National Emission Ceilings). Le NO2 se voit simultanément appliqué une contrainte de -15% par rapport à 2015 dans le cadre de la loi Climat.

En ce qui concerne l’ammoniac, les engrais minéraux bénéficient d’une échappatoire, au moins partielle, liée au type d’engrais. Selon l’Ademe et le CITEPA, dans les mêmes conditions d’épandage, les ammonitrates sont caractérisées par un facteur d’émission inférieur de quatre fois à celui de la solution azotée et de sept fois à celui de l’urée. Selon la Cour des comptes, la part des ammonitrates a reculé 43% à 37% entre 2005 et 2016. L’Allemagne par exemple a interdit l’usage d’urée et de solution azotée sans inhibiteur d’uréase, une piste en cours d’évaluation en France par l’Anses.

Le cas des engrais organiques

Tout comme les engrais minéraux, le sort des engrais organiques, liquides et solides, est lié au Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA), la déclinaison nationale de la directive NEC. Il repose notamment sur la mise en œuvre d’un Plan matériels d’épandages moins émissifs, présenté par le ministère de l’Agriculture en 2021, prônant notamment « l’interdiction progressive des buses palettes avec interdiction totale à l’horizon 2025 pour l’épandage des effluents liquides et l’incorporation des effluents solides dans un délai post épandage inférieur à 12 heures, dans les contextes économiques, agronomiques et organisationnels qui le permettent ».

Parmi les facteurs limitants figurent, pour les lisiers, des contraintes financières (+2500 à +3000 €/mètre pour un pendillard) et techniques (pentes fortes, éléments de litière, corps flottants entrainant le bouchage des tubes). L’enfouissement des apports solides, surreprésentés en France par rapport à d’autres pays, est en butte à une double impasse : il n’existe pas de matériels moins émissifs que les épandeurs existants tandis que l’enfouissement est impossible sur prairies.

Les échéances réglementaires sont encore un peu lointaines et les futures astreintes encore floues. Mais le printemps et les risques de pic d'émission font office de piqure de rappel.