La forêt à la croisée des chemins

Le changement climatique a des effets visibles sur la forêt qui doit relever le défi de l'adaptation tout en pérennisant ses rôles économiques et écologiques.

Énergie renouvelable, stockeur de carbone, poumon de la nature... La forêt est tout à la fois et pourtant, elle est plus menacée que jamais. Depuis trois ans, la filière bois-forêt observe une dégradation significative des peuplements sous l'effet du changement climatique. L'élévation moyenne des températures accentue l'évapotranspiration et les pluies éparses et irrégulières ne suffisent plus à recharger les sols. Les arbres s'affaiblissent et deviennent la proie des parasites et autres pathogènes. Les peuplements de résineux sont les premiers touchés mais les feuillus ne sont pas épargnés pour autant. Dans certains massifs forestiers, c'est l'hécatombe. Les paysages se transforment, grêlés par ces arbres morts. Inévitablement, les activités forestières s’en trouvent impactées ainsi que l’écosystème naturel. « Le changement climatique menace la forêt » affirme Benoît Rachez, directeur de la coopérative Unisylva mais comme lui, les acteurs de la filière sont nombreux à croire et à œuvrer à son adaptation.
Dépérissement de masse
La forêt couvre près de 2,6 millions d'hectares en Auvergne-Rhône-Alpes soit 37% de la surface du territoire régional. L'Isère, la Haute-Loire, la Haute-Savoie et le Puy-de-Dôme sont les premiers départements en termes de volume de bois sur pied. La production de bois d'œuvre représente près de 4 millions de m3 contre 742 000 m3 pour le bois énergie (source Fibois). Le poids économique de la filière dans le région est loin d'être négligeable mais pour combien de temps encore ?
Dans le Livradois-Forez, le massif forestier le plus vaste (90 000 hectares) et le plus productif du Puy-de-Dôme, le changement climatique joue lentement son œuvre. Dans les sapinières « un écosystème naturel du Livradois-Forez », les arbres meurent par centaines surtout ceux implantés en dessous de 800 mètres d'altitude. « Ils manquent d'eau » explique Morgane Malard, chargée de mission forêt-filière bois du Parc Naturel Régional qui observe chaque printemps de nouveaux rougissements, signes de dépérissement. « Les surfaces touchées sont de plus en plus importantes y compris dans les jeunes plantations de moins de 10 ans. Certaines essences introduites, comme le grandis (ou sapin de Vancouver) sont particulièrement touchées.»
Au Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), les premiers dépérissements observés datent des années 1990. Selon Jean-Baptiste Reboul, ingénieur forestier, ils sont le résultat « d'essences importées, considérées comme miracle (croissance rapide) 20 ou 30 ans plus tôt, et qui n'étaient déjà à l’époque, pas dans leur niche climatique(1) ». Le changement climatique ne ferait qu'accentuer cette inadaptation. Toutefois, depuis cinq ans, des dépérissements sont aussi relevés sur des essences indigènes tels que le sapin pectiné et le hêtre. « La profondeur des sols, l'exposition, l'altitude, la nature du peuplement de la parcelle, le type de gestion forestière... sont autant de facteurs plus ou moins aggravants. Sous l’effet de l’augmentation moyenne des températures, certaines essences de basse altitude pourraient remonter. »
À la recherche de nouvelles essences
Au sein de Unisylva, la problématique inquiète. La coopérative regroupe plus de 5 300 propriétaires forestiers pour 77 000 hectares de forêts. « Un arbre mort est forcément déprécié alors que le propriétaire actuel, ou le précédent, a investi il y a 20, 30 ou 40 ans, pour en tirer un bénéfice » explique Benoit Rachez. Pour le directeur, ces dépérissements menacent certes la filière économique mais aussi les bénéfices environnementaux intrinsèques de la forêt telle que la captation de carbone. « Ne plus rien faire en forêt serait la pire des choses» affirme-t-il et pointe du doigt l'augmentation du risque incendie, un autre effet inhérent au changement climatique. « Les arbres morts sont de vraies allumettes. De plus, c'est grâce à l'activité forestière que les pistes d'accès, utilisées par les pompiers en cas de feu, sont entretenues. »
L'enjeu qui se pose est donc de taille : parvenir à maintenir une activité économique en forêt suffisamment rémunératrice pour encourager les propriétaires forestiers à investir dans leurs parcelles et adapter leur forêt au climat de demain. « La forêt doit continuer à jouer tous ses rôles » assène le directeur de Unisylva pour qui l'adaptation des modèles de gestion forestière est indispensable. « Plus que jamais il faut entretenir les forêts. Le changement climatique va dix fois plus vite que ne peuvent s'adapter ou migrer les essences. » Le choix de ces dernières devient d'ailleurs plus complexe mais la filière bois-forêt est loin d'être à court d'idées. « Plusieurs protocoles de recherche sont en cours sur des essences plus adaptées au contexte climatique mais qui sont toujours productrices de bois d’œuvre.» Le chêne sessile ou le douglas aujourd'hui utilisés, le seraient encore demain à condition de revoir leurs zones de plantation. En revanche, le pin laricios de Corse, le cèdre ou encore le sapin méditerranéen, actuellement absents de nos massifs, pourraient se faire une place.
Pour en juger sans attendre 20 ou 30 ans, le CNPF a développé BioClimSol, un outil numérique de diagnostic sylvo-climatique et d’aide à la décision à l’échelle de la parcelle forestière, dans l'intention de prédire, selon différents scénarios (+1°C ou +2°C d'élévation des températures), les essences les plus adaptées. Après avoir rentré les critères pédoclimatiques, l'outil émet plusieurs propositions avec des résultats parfois étonnants. « Sur cette parcelle à 800 mètres d'altitude, versant nord, le sapin nordmann et le calocèdre (ou cèdre blanc de Californie) seraient adaptés à un contexte climatique de +1°C. À l'inverse, d'autres essences, y compris indigènes, ne seront plus dans leur niche climatique. » L'ingénieur forestier modère toutefois ce résultat en rappelant qu'« un modèle informatique ne remplacera jamais l'analyse terrain ».
Réajuster la gestion sylvicole
L'implantation de nouvelles essences ne sera pas la seule solution d'adaptation de la forêt au changement climatique. Jean-Baptiste Reboul insiste : « la gestion sylvicole doit être ajustée ». L'ingénieur forestier entend par-là de réviser les recommandations de gestion forestière au cas par cas. « Les propriétaires forestiers doivent agir dans leur forêt en fonction des ressources (eau, sol, lumière...) disponibles. » Et là où le morcellement parcellaire de la forêt est un frein à l'entretien de cette dernière, il y voit une aubaine face au changement climatique. « La multiplicité des propriétaires forestiers fait la diversité de la forêt. Il serait dangereux pour l'avenir de la forêt d'avoir une gestion uniforme. Comme il serait dommageable de ne plus agir.» Parce qu'elle semble immuable, fille de mère Nature renfermant ses plus grandes richesses, la forêt est aujourd'hui sacralisée dans les discours écologistes pour qui toute intervention en son sein est un péché répréhensible. Pourtant, au nom de la préservation de l'environnement, le bois, issu de cette même forêt est au cœur de la transition énergétique. « Il n'y a pas de déforestation en France. La coupe rase représente moins de 1% de la surface du Livradois-Forez. Au niveau national, c'est encore moins. Nous ne sommes pas en Amazonie» explique Jean-Baptiste Reboul. Alors la filière redouble d'efforts pour à la fois communiquer davantage auprès du grand public et continuer d'être au chevet de la forêt.

1: Ensemble des conditions climatiques et environnementales qui détermine l'habitat d'une espèce au sein d'un écosystème et qui exerce une influence sur son développement.