La vigne, un pare-feu qui réclame aussi sa part d’eau

Sans en sortir indemne, la vigne restreint la propagation des incendies, exacerbés par le changement climatique. Mais celui-ci modifie son régime hydrique, au point d’en appeler à l’irrigation, au cadre légal évolutif.

Cultivée depuis 6.000 ans, la vigne a démontré sa capacité à traverser les siècles et à résister aux déluges et aux parasites. En 2019, dans l’Hérault et dans le Gard, où la température était montée à 46°C, des phénomènes de dessèchement sur pied avaient été observés, affectant les jeunes plantations à l’enracinement superficiel mais aussi des parcelles souffrant de déficits hydriques sévères.

Radiations thermiques

Cet été, le vignoble méridional est cependant est soumis à rude épreuve, avec la multiplication des incendies ayant affecté à ce jour plusieurs départements dont l’Aude, l’Hérault, les Pyrénées-Orientales ou encore le Vaucluse et le Var cette semaine. Face au feu, qui à la fois une conséquence du changement climatique et une cause de son exacerbation, de par les dégagements de gaz qu’ils occasionnent, la vigne a deux vertus : elle fait office de pare-feu d’une part et en sert de point d’appui aux pompiers d’autre part. Pour autant, elle ne passe pas totalement au travers des flammes, notamment les bordures de parcelles contiguës aux incendies.

La vigne est davantage victime des radiations thermiques que de l’exposition directe aux flammes
La vigne est davantage victime des radiations thermiques que de l’exposition directe aux flammes

C’est davantage les radiations thermiques et non les flammes qui sont susceptibles d’engendrer la mortalité des ceps. On considère que l’effet radiant génère un effet létal pour la végétation à une distance équivalent à trois fois la hauteur de la végétation exposée aux flammes. Mais l’impact est cependant différent selon la position de la parcelle par rapport au sens de propagation du feu. Il est moindre lorsque que le front du feu se développe parallèlement à la vigne et non transversalement. La déprise, le défaut d’entretien des fossés et chemins, le recul des activités cynégétiques constituent autant de facteurs aggravants.

Des incendies aux conséquences multiples

L’effet radiant n’est pas le seul méfait des incendies. Il faut aussi prendre en compte l’exposition aux cendres et aux fumées. Celles-ci sont susceptibles d’engendrer le déclassement des raisins produits en AOP tandis que les cendres peuvent modifier le goût du raisin et influer sur son pH. Le raisin suspect doit être vinifié à part et faire l’objet de tests de stabilité, avec une attention particulière sur les arômes soufrés et sur l’acidité. Les déversements d’eau de mer ou d’étangs littoraux peuvent aussi engendrer des dégâts liés au sel, en plus des altérations physiques. Enfin, les raisins ayant reçu des produits retardants, non toxiques mais dénués d’usage alimentaire, sont considérés comme impropres à la consommation et doivent être détruits. Dans tous les cas, il est conseillé de vinifier à part les parcelles potentiellement à risques. Il faut également réaliser un suivi organoleptique et analytique pour détecter d’éventuelles déviations et opérer une stricte séparation avec les autres vins, afin de pouvoir garantir l’intégrité de ces derniers en cas de problèmes commerciaux.

Les méfaits du stress hydrique sur la vigne et les raisins

Face au réchauffement climatique et au stress hydrique qu’il induit, la vigne rejoint progressivement le cortège de cultures ayant recours à l’irrigation, en réponse au changement qui affecte sa physiologie et les caractéristiques organoleptiques des raisins. L’augmentation du degré d’alcool et la baisse de l’acidité contribuent à la production de vins instables et sensibles. En ce qui concerne les blancs en particulier, les fortes chaleurs brûlent les composants aromatiques et génèrent des vins plats s’écartant du goût des consommateurs. Au plan quantitatif, les baisses de rendement constituent une menace pour l’équilibre de nombreuses exploitations qui peinent à produire les volumes autorisés.

La date butoir en débat

Selon FranceAgriMer, 4% du vignoble français est irrigué. Le taux monte à 21 % en Espagne, 26 % en Italie et 90 % en Californie. L’irrigation du vignoble est un processus très encadré. Selon le décret n° 2017-1327 du 8 septembre 2017, l’irrigation des vignes AOC est autorisée entre le 1er mai et le 15 août, pour peu qu’elle soit mentionnée dans le cahier des charges des Organismes de défense et de gestion (ODG). Elle reste dérogatoire et soumise au strict respect d’un protocole régissant les déclarations (parcelles, systèmes d’irrigation…), la période (du stade véraison au 15 août), la charge maximale de raisin à l’hectare, qui ne doit excéder la valeur fixée dans le cahier des charges de l’appellation ou encore l’interdiction du Volume complémentaire individuel (VCI).

L’irrigation du vignoble est contrainte par la réglementation, l’accès à la ressource et le coût financier
L’irrigation du vignoble est contrainte par la réglementation, l’accès à la ressource et le coût financier

Après quelques années de recul, experts et vignerons s’interrogent sur la pertinence de la date butoir du 15 août, qui s’impose indistinctement à tout le vignoble, indépendamment des particularismes locaux liés à la géographie, à la climatologie ou encore à l’encépagement. 

Le Comité national des vins d’Appellation d’Origine protégée (AOP) de l’Institut National de l’origine et de la qualité (INAO) a créé un groupe de travail dédié. Il pourrait être rejoint par le comité des vins à Indication géographique protégée (IGP).

Parallèlement la filière viticole élabore actuellement sa stratégie d’adaptation et d’atténuation au changement climatique, en lien avec le Varenne de l’eau et du changement climatique dicté par le ministère de l’Agriculture.