Légumes d’industrie : chaque goutte d’eau compte

Suite aux conditions climatiques catastrophiques de l’année 2022, c’est toute la filière légumes d’industrie qui a trébuché. Pour préserver ce secteur si stratégique à la souveraineté alimentaire de la France, l’interprofession rappelle la nécessité de pouvoir irriguer ces cultures à cycle court et dont le développement se concentre sur la période estivale.

Sans eau, pas de légumes ! C’est le message martelé par les intervenants d’un voyage organisé par l’interprofession des légumes industries (Unilet) à destination de la presse les 18 et 19 septembre dernier. Là où cette communication prend une tournure étrange, c’est lorsqu’elle est évoquée sur un secteur de production parmi les plus pluvieux de France, entre Morbihan et Finistère. Et qui plus est, martelé par un Breton pur souche en la personne de Jean-Claude Orhan, producteur de légumes industries pour Eureden et vice-président de l’Unilet. Sur les trois grands pôles de production de légumes industries, la Bretagne est la zone qui compte le moins d’hectares irrigués. En 2020, seul 46% des surfaces de légumes industries y sont irriguées, loin derrière le Sud-Ouest et même les Hauts-de-France.

Oui, mais voilà, en 2022, la Bretagne n’a été épargnée ni par les fortes chaleurs, ni par le manque de pluviométrie, ni par les restrictions d’irrigation. Les conséquences sur des légumes verts comme les petits pois, haricots et épinards sont immédiats : des rendements en berne, des haricots pleins de grains et de fils et des feuilles d’épinards jaunies. Un casse-tête pour les industriels dont les outils n’ont pas pu être approvisionnés correctement.

Lorsque les cultures sont touchées par les aléas climatiques, c’est toute la production industrielle, qui utilise des légumes récoltés depuis moins de 5 heures, qui est impactée. © TD

À court terme, c’est la filière dans sa totalité qui essuie le choc économique avec des outils industriels non-approvisionnés en pleine période de production. À long terme, ce sont des producteurs qui abandonnent ces cultures risquées pour se tourner vers les céréales dont les cours élevés leur font de l’œil. « En 2023, nous avons eu de la difficulté à trouver les 21.500 hectares nécessaires dans notre région », assure Jean-Claude Orhan.

Alors même en Bretagne, le sujet de l’eau pour irriguer les légumes est devenu l’enjeu prioritaire.

Les légumiers s’engagent

S’ils crient leur besoin d’eau, les producteurs de légumes d’industrie n’en oublient pas la nature de bien commun de cette ressource. « L’eau appartient à tout le monde. Ce qu’il nous faut c’est prendre le temps d’expliquer aux consommateurs pourquoi et comment nous en avons besoin », reste confiant Eric Le gras, ancien président de l’Unilet et président de l’organisation de producteurs OP-L-Vert qui fournit Bonduelle dans les Hauts de France. Pour ce faire, l’Unilet a pris dix engagements sociétaux et environnementaux en 2021. « Aujourd’hui, nous voulons montrer que nous passons de la théorie à la pratique », argue Cécile Le Doaré, directrice de l’interprofession.

Un manque d’eau, même ponctuel, peut générer des défauts de qualité irrémédiables sur une culture de haricot vert. © TD

Des sondes sur haricot vert

C’est dans ce but que l’Unilet mène des essais d’amélioration du pilotage de l’irrigation sur sa plateforme expérimentale finistérienne de Lesseye, située à Riec-sur-Belon. « Les tables sur le confort hydrique sont vieilles et à remettre au goût du jour », assure Eric Kerloc’h, chef de la station. Cette année, ses équipes ont réalisé des essais sur les différentes méthodes de pilotage sur une parcelle de haricot vert semée le 12 juillet. Les modalités incluaient l’utilisation d’une sonde tensiomètrique, d’une sonde capacitive et de deux OAD : Irrélis et Net-Irrig. Malgré un été pluvieux sur le secteur et un premier tour d’irrigation seulement fin août, une différence importante est déjà visible sur la formation de grain dans les haricots entre les parcelles irriguées et le témoin. « L’objectif des OAD est d’apporter la juste quantité d’eau. Ils peuvent permettre d’économiser un tour d’eau. C’est important car au-delà de l’économie d’eau, une parcelle trop arrosée sera propice au développement des maladies », détaille Eric Kerloc’h. Des essais sont également menés sur la structure du sol afin qu’il soit plus aéré et puisse conserver l’humidité. « L’an prochain, nous aimerions lancer un programme d’essai comparatif entre l’utilisation d’une rampe ou d’un canon pour l’irrigation », révèle le chef de station.

D’autres pistes sont évoquées par l’Unilet pour s’adapter au changement climatique tout en gardant une utilisation raisonnée de l’eau. Parmi elles, « la stratégie d’évitement » qui consiste à abandonner des zones et des calendriers de productions trop exposées. L’interprofession évoque à ce titre les épinards d’été. L’utilisation de variétés non-adaptées pourrait également être proscrite. Il s’agit notamment des haricots verts sensibles à la formation de fil dans les gousses.

L’industrie s’engage aussi

Ce qui caractérise la filière légumes d’industrie dans l’hexagone, c’est sa capacité à contractualiser. « Pas un hectare n’est semé si nous n’avons pas des volumes équivalents chez les industriels en face », assure Didier Le Guellec, directeur légumes industries chez Eureden. Rien d’étonnant alors que les outils de production industriels s’engagent tout autant que les agriculteurs sur la réduction de l’utilisation de l’eau. À ce titre, l’usine D’aucy de Lanvénégen dans le Morbihan, un joyau de la couronne d’Eureden vieille de 80 ans et s’étendant sur 22 hectares, a récemment investi dans un système de traitement de l’eau bien spécifique. Comme le demande la réglementation, l’usine retraite l’eau afin d’atteindre la qualité requise pour un rejet dans un cours d’eau. Mais elle va aujourd’hui plus loin en appliquant un système d’ultra-filtration puis d’osmose inverse. Ceci afin d’obtenir une eau dite « propre ». « Nous réutilisons cette eau pour le premier lavage des légumes et le déterrage. Soit 30% de notre consommation d’eau. Actuellement, la réglementation ne nous permet pas d’utiliser cette eau retraitée pour d’autres utilisations, mais elle pourrait évoluer à l’avenir », assure Mickaël Le Moal, le directeur d’usine.

De gauche à droite, l’eau de lavage en sortie d’usine, l’eau prête pour le rejet dans le milieu et l’eau traitée pour une réutilisation dans l’usine. © TD

Témoignage : légumier de métier

Si la plupart des producteurs de légumes industries n’emblavent que 10 à 15% de leur surface avec ce type de production, Jacques Cordroc’h s’est lui spécialisé dans ce type de production. 70 à 90 ha des 120 que compte son exploitation sont dédiés aux épinards, haricots, pois et carottes, mais aussi navet, ciboulette, chou-fleur, brocoli ou encore céleri branche et rave. Ce qui l’anime, c’est le défi technique de ces productions atypiques. Si l’eau est une problématique majeure pour lui aussi, il peut compter sur ses deux réserves pour irriguer ses parcelles. C’est sur le sujet du désherbage que le producteur breton a le plus d’impasses. « En céleri, nous avons dû passer en manuel avec une équipe bulgare pour désherber, notamment la morelle », assure-t-il. Anne-Sophie Kouassi, cheffe du service technique d’Unilet, souligne la situation particulière de ces cultures à faible surface qui ne bénéficient que très peu d’innovation sur la protection phytosanitaire.

Jacques Cordroc’h, légumier à Arzano (29)