Les fourrages au cœur de l'autonomie alimentaire des élevages

L'autonomie fourragère est la priorité de chaque élevage. Elle l'est d'autant plus aujourd'hui face à l'augmentation du prix des matières premières, mais le changement climatique complique la tâche.

 L'ambiance était studieuse le 15 avril dernier au Gaec Dauphin-Tarrit à Job. La chambre d'agriculture du Puy-de-Dôme organisait le premier épisode d'une série consacrée à l'autonomie fourragère. La réponse à cette question depuis longtemps prioritaire pour les éleveurs, devient complexe à obtenir aujourd'hui. Le manque de précipitations régulières et la hausse moyenne des températures occasionnent des pertes de fourrages. Face à l'envolée des prix des intrants (carburant, azote, alimentation animale...), la trentaine d'éleveurs présente ce jour-là est consciente que le simple achat de fourrage n'est plus une solution viable. Il est temps de reconsidérer l'autonomie fourragère.
Objectif : autonomie alimentaire
L'autonomie fourragère est la capacité d'un élevage à nourrir un troupeau en achetant le moins de fourrage possible voire aucun. Or, au regard du contexte général, ce simple objectif volumétrique n'est plus suffisant selon Stéphane Violleau. Le conseiller fourrage de la Chambre d'agriculture du Puy-de-Dôme souligne que désormais il faut tendre vers "l'autonomie alimentaire en achetant le moins de fourrages et de concentrés possibles". La question du volume doit donc être complétée par celle de la qualité des fourrages. "Avec le prix actuel des concentrés, il faut s'inquiéter de nouveau de la qualité des fourrages (...) mais que choisir pour que cette opération soit économiquement viable ? "
Dans cette stratégie, il faut avoir deux notions bien en tête : l'UF (Unité Fourragère) qui détermine la digestibilité et la richesse énergétique et la MAT (Matière Azotée Totale) qui correspond à la teneur protéique du fourrage. La digestibilité du fourrage est liée à l'âge. Plus une herbe est jeune plus elle est  digérée par les animaux et sa valeur assimilée par l'organisme. Dans une stratégie d'autonomie alimentaire, Stéphane Violleau est formel : "il faut essayer de maximiser l'UF et la MAT". Et pour parvenir à cet objectif, les éleveurs peuvent compter sur une pratique ancestrale qui fait encore ses preuves : "La pâture précoce est un aliment de référence. Ce fourrage vaut un concentré."
Coût de production
La pâture d'une prairie permanente contient à elle seule 6 463 UF/ha et 1 082 Kg de MAT/ha. En plus de ses super-pouvoirs alimentaires, la pratique est la moins coûteuse de toute. Même avec une coupe d'ensilage et une fertilisation, l'addition s'élève à 446€/ha/an (conjoncture 2021).
Une prairie temporaire Dactyle-luzerne avec trois coupes produira 7 082 UF/ha/an et 1 481 Kg de MAT/ha/an. Son coût de production est de 749€/ha/an. "Cette prairie coûte plus chère à produire mais elle est bien plus énergétique. Il faut certes de la quantité mais aussi de la qualité car aujourd'hui, dans un coût de production, l'achat de concentrés est le premier poste de dépenses."
Le conseiller poursuit ses exemples sur les maïs ensilage. Un maïs à 8 t de MS (matière sèche)/ha offre 7 200 UF/ha/an et 648 Kg de MAT/ha/an et coûte 754€/ha à produire. Un maïs à 12 t de MS/ha offre 10 800 UF/ha/an et 972 kg de MAT/ha/an et coûte 835€/ha à produire. "En dessous de 10 t de MAT/ha, la tonne de maïs ensilage coûte trop chère à produire. Sans compter qu'il faut rajouter le coût des concentrés pour équilibrer la ration."
Un méteil précoce à 4 t de MS/ha suivi d'un maïs à 8 t de MS/ha offre 10 640 UF/ha et 1 348 Kg de MAT/ha et coûte 1 262€/ha à produire.
Un dernier exemple, celui du seigle forestier à 4 t de MS/ha suivi d'un maïs à 8 t de MS/ha. Ce type de fourrage offre 10 400 UF/ha et 1 168 kg de Mat/ha/an et coûte 1 206€/ha à produire.
Coût de production vs coût final (production + complémentation)
Une fois ces résultats en poche, qu'en faire malgré tout ? Car certes le coût de production est important mais au final, une fois la complémentation ajoutée, qu'est-ce qui est le plus intéressant ? "Les éleveurs ont conscience du coût de production mais pas du coût du concentré. L'achat de ce dernier est sous-estimé. Dans le contexte actuel, plus les fourrages seront de qualité, moins la hausse des intrants aura un impact" explique Stéphane Violleau. Les engrais minéraux ont augmenté de 200%, le carburant 100% et les concentrés 65%. Le conseiller a comparé le coût final (production + concentré) de ces différents types de fourrages. Les chiffres (que nous ne sommes pas autorisés à diffuser NDLR) étayent sa réflexion : "plus le fourrage est de qualité, moins la hausse des intrants aura un impact sur le coût de la ration". 
Les méteils, le bon compromis
Encore une fois, l'herbe ne pousse pas de manière uniforme toute l'année et le climat tient une part importante dans la réussite de la récolte. À Job, en zone de mi-montagne, le manque d'eau se fait d'ores et déjà sentir. "Chaque année, on a l'impression que c'est de pire en pire" témoigne Benjamin Tarrit, éleveur de  Salers. Le manque de fourrage est devenu fréquent dans cette exploitation qui compte pourtant 250 hectares (90 ha en estive) pour 110 vaches allaitantes. Afin de pallier à ces carences, l'éleveur et son associé, Éric Dauphin, ont semé 6 hectares de seigle forestier. Il est utilisé comme une culture intermédiaire d'hiver avant un maïs. Elle a l'avantage de couvrir le sol et d'optimiser l'usage de la parcelle en permettant la conduite de deux cultures. Néanmoins, "le seigle forestier donne de la quantité mais a peu d'intérêt qualitatif" souligne Stéphane Violleau.
Le conseiller fourrage recommande davantage le recours à un méteil pour pallier aux manques de fourrages. Un méteil est constitué d'une céréale, d'un pois et d'une vesce. Son stade de récolte fait encore débat aujourd'hui pour trouver le meilleur équilibre entre quantité et qualité. Les éleveurs restent bien souvent sur l'idée d'attendre la floraison du pois. "Il faut récolter au gonflement de la graine de la céréale, avant la montée de l'épi "assure Stéphane Violleau. Le conseiller a expérimenté et analysé les résultats de plusieurs récoltes et ce repère est celui qui offre le "meilleur rapport quantité et qualité". De plus, une récolte à ce stade permet d'envisager l'implantation d'un maïs dans la foulée.
Enfin à la question qui est sur toutes les lèvres : quelle prairie résiste le mieux au sec ? La réponse est simple "aucune (...). à part les cactus, aucune plante ne pousse sans un minimum d'eau". Le service fourrage de la Chambre d'agriculture du Puy-de-Dôme se penche sur la question depuis quelques années maintenant. "Le dactyle-luzerne apparaît comme la prairie la plus résistante mais elle est pénalisée par les excès d'eau en hiver."
Une seconde journée technique sera organisée en septembre prochain dans le Livradois-Forez pour développer davantage cette question de l'autonomie alimentaire.