Pour se lancer dans la méthanisation, l’union fait la force ? Éléments de réponse, avant le Sommet de l’élevage

La méthanisation gagne du terrain en France. Au 31 mars 2024, le pays comptait 1749 installations, selon le ministère de l’Agriculture. Parmi elles, alors que certains éleveurs choisissent de s’associer pour optimiser le tonnage d’intrants, d’autres préfèrent se lancer en solo dans l’aventure. Retours d’expérience, au nord de l’Auvergne, dans l’Allier, alors que le sujet sera particulièrement abordé lors du Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand, du 1er au 4 octobre prochains.

« On a toujours eu l’habitude de travailler en équipe », tranche d’office Frédéric Blanchonnet. Son exploitation est installée depuis 1997 à la limite entre le Puy-de-Dôme et l’Allier, à Marcillat-en-Combrailles. En 2018, il s’est associé en GAEC et avec son associé : ils élèvent ensemble des bovins allaitant (des blondes d’Aquitaine), avec un total de 80 mères, ainsi que de la culture de vente sur 140 hectares : céréales, colza, et maïs. Quand, en 2018, un méthaniseur s’installe près de chez lui, l’idée d’en installer un pour son exploitation commence à germer. « Mais le projet est né dans l’optique d’une mise en commun » avec les éleveurs voisins, explique-t-il. « On a gardé cet esprit d’équipe qu’on avait déjà, notamment lors des chantiers d’ensilage ». Plusieurs visites d’unités dans l’Est de la France et en Auvergne les confortent dans le projet et ils s’entourent du bureau d’études Bio-Valo pour les aider à le faire émerger.

Aujourd’hui, six fermes sont associées au projet et mettent en commun leurs effluents d’élevage. En tout, la structure rassemble 12 éleveurs et un salarié exclusivement dédié à l’unité de méthanisation. Les exploitations représentent 1500 hectares, sur lesquels il y a 1000 vaches allaitantes, un peu d’élevage de porc, et un peu de volailles. Les six fermes associées au projet sont à égalité au capital, et chacune s’est engagée à apporter un certain tonnage d’effluents et/ou de matières végétales.

 

Trente tonnes par jour dans le procédé

Résultat : l’unité est autonome en matières, il n’y a pas besoin d’intrants supplémentaires de fournisseurs externes pour la faire fonctionner. La mise en commun des effluents et des matières végétales apparaît ici comme un atout majeur pour le projet.

Tous les jours, les éleveurs associés apportent environ trente tonnes de matières dans le procédé. Leur fumier étant saisonnier, ils le stockent pour en avoir à disposition de manière régulière. A la sortie, il y a d’une part, le gaz (biométhane) injecté dans le réseau par une conduite de gaz après contrôle par GRDF, et d’autre part, il y a le digestat solide et liquide qui sont épandus sur les cultures des fermes des associés.  Côté chiffre d’affaires, il est conforme à ce qui était prévu, « et on est réguliers dans la production de biométhane ». Cette unité permet d’économiser des frais liés aux engrais et de valoriser les effluents des fermes des associés.

Ces unités de méthanisation en collectifs, l’Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France (AAMF) estime qu’elles concernent 48 % de ses 600 adhérents. Ces chiffres ne sont donc pas parfaitement représentatifs de toutes les unités de France, car environ la moitié des exploitants d’unités sont adhérents à l’AAMF.
Selon Garance Ronot, du bureau d’études Bio-Valo accompagnant les éleveurs et agriculteurs dans des projets de méthanisation, « se lancer à plusieurs permet de diluer le risque financier lié à un investissement de départ important. ».

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Crédit photo : Adobe Stock - Martin Mecnarowski

 

« Préférer un petit chez soi plutôt qu’un grand chez les autres »

Christophe Mathiaud, lui, a fait le choix inverse. Installé à Vallon-en-Sully (Allier) depuis 1999, associé avec son frère et sa mère en GAEC (structure familiale), leur unité de méthanisation développée en collaboration avec Bio-Valo n’est pas collective, et les matières incorporées ne proviennent que de leur ferme. « Notre philosophie, c’est de préférer monter un petit chez soi plutôt qu’un grand chez les autres », expose-t-il. « On a toujours construit les choses ensemble, on se sent plus fort à deux, il n’y a pas d’investisseur et on ne dépend que de nous. »

La méthanisation, ils y pensaient depuis 2019. A ce moment-là, ils ont été approchés par Engie pour devenir apporteurs de matière au sein d’une unité proche de chez eux. Les démarches du projet prennent beaucoup de temps, donc cette collaboration n’aboutit pas, mais l’idée est restée : « pourquoi ne pas le faire nous-mêmes ? » Aujourd’hui, l’unité de méthanisation de Christophe Mathiaud et de son frère est autonome en intrants ; avec 400 tonnes de fumier de volaille par an, 5 tonnes de fumier bovin par jour, et une culture intermédiaire semée au mois de septembre en complément. « On a dimensionné le méthaniseur en fonction de nos parcelles et cultures [l’exploitation fait 536 hectares en tout, ndlr], donc des intrants qu’on pouvait y mettre », précise-t-il. Un salarié est chargé de s’occuper de l’unité, même s’il a d’autres tâches sur la ferme, et l’exploitation a réduit d’un tiers l’utilisation d’engrais chimiques.

Pour l’agriculteur, cette unité qui est uniquement dépendante des matières venant de son exploitation lui permet de « tout maîtriser lui-même : il n’y a pas d’histoire d’équitabilité, de quantité ou de qualité de matière apportée par untel… On prend les directives, on gère les problèmes nous-mêmes ».

Toujours selon l’AAMF, ce modèle individuel est un « schéma assez classique pour les petites cogénérations », il représente 52 % des 600 adhérents produisant du biogaz. Du côté de Bio-Valo, Garance Ronot indique qu’elle informe les porteurs de projets qui envisagent de se lancer en solo : « Nous leur précisons bien que s’ils ne prennent pas un salarié dédié pour l’unité, c’est un gros investissement en temps. Entre le chargement des intrants, la gestion des alertes et la maintenance en plus de la gestion habituelle de leur ferme à côté, il faut bien avoir conscience de la charge de travail que cela représente ».

Dans les deux cas, ferme autonome ou groupement d’exploitations, la méthanisation agricole tisse du lien entre les agriculteurs d’un même territoire et la notion de collectif reste toujours présente. Elle constitue un des moyens pour les éleveurs de réduire la production de gaz à effet de serre de leur exploitation. La transition énergétique sera d’ailleurs largement mise en lumière lors du Sommet de l’Élevage, avec un hall presque entièrement dédié à cette thématique.