Protection des cultures : faire appel à des « plantes-banques » et des « plantes-ressources »

En production de légumes, la recherche avance pour trouver des solutions efficaces et durables pour protéger les cultures contre les ravageurs. Sur le centre opérationnel CTIFL de Carquefou (44), on expérimente des associations avec des plantes-ressources et des plantes-banques. Focus sur concept au cœur de l’agroécologie.

Sur les parcelles d’expérimentations du centre opérationnel CTIFL (Centre interprofessionnel des fruits et légumes) de Carquefou (Loire-Atlantique), en ce mois de juin 2023, trois tunnels contiennent des cultures d’aubergines. Dans ces trois tunnels, les mêmes variétés ont été plantées aux mêmes dates et sont irriguées de la même façon. Aucun traitement avec un insecticide, un fongicide ou un produit de biocontrôle n’a été réalisé. L’irrigation, par goutte-à-goutte est gérée de la même façon dans tous les tunnels.

Attaques de pucerons déjouées

Dans le tunnel témoin : cinq planches d’aubergines. Dans les deux autres, dits « tunnels aménagés », la planche centrale est remplacée par une bande de plantes de service parmi lesquelles on retrouve l’achillée millefeuille, la tanaisie, l’alysse saxatile (corbeille d’or), le lierre terrestre et l’ortie. Dans l’un des tunnels, la bande a été implantée cette année, quatre mois avant les plants d’aubergine. Dans l’autre, elle est pérenne depuis 3 ans.

Dans le tunnel témoin, trois semaines après leur plantation, les aubergines ont commencé à subir des attaques de pucerons. Ces insectes sont nuisibles à la culture de manière directe, car le prélèvement de sève fatigue les plantes, et indirecte, car ils peuvent transmettre des virus et favoriser la survenue de fumagine. Dans les tunnels aménagés avec la bande multi-espèces, les attaques de pucerons sont, pour l’instant, anecdotiques.

Bérangère Herrault (stagiaire ingénieure de l’ESA d’Angers) présente les tout premiers résultats de l’année 2023. Dans les deux tunnels aménagés, les aubergines sont beaucoup moins attaquées par les pucerons que dans le tunnel témoin (plus les barres sont vertes, plus les feuilles sont saines) (Crédit photo : Catherine Perrot)
Bérangère Herrault (stagiaire ingénieure de l’ESA d’Angers) présente les tout premiers résultats de l’année 2023. Dans les deux tunnels aménagés, les aubergines sont beaucoup moins attaquées par les pucerons que dans le tunnel témoin (plus les barres sont vertes, plus les feuilles sont saines) (Crédit photo : Catherine Perrot)

Les chercheurs du CTIFL auraient-ils trouvé la recette pour lutter contre les pucerons sans ajout d’insecticide ni agent de lutte biologique ? Peut-être bien ! Ils ont en effet implanté des plantes spécifiquement choisies pour être des « plantes-ressources » et des « plantes-banques » pour les prédateurs de pucerons : syrphes, coccinelles, chrysopes, punaises prédatrices, hyménoptères parasitoïdes…

Une plante-ressource, c’est une plante qui attire les ennemis naturels de pucerons au stade adulte, en leur fournissant les ressources énergétiques (sucres contenus dans les nectars) et protéiques (pollen) nécessaires à la production des œufs. Une plante-banque a, quant à elle, la fonction d’attirer la nourriture des larves de ces prédateurs, en l’occurrence des pucerons, si possible inoffensifs pour la plante cultivée. Les prédateurs de pucerons ne pondent en effet leurs œufs qu’en présence d’une nourriture abondante pour leurs larves. Ainsi, grâce à ces plantes-banques, une armée de prédateurs se tient prête à agir si la culture est attaquée par des pucerons. La stratégie globale visant à attirer des prédateurs naturels des ravageurs s’appelle « lutte biologique par conservation » (conservation de la biodiversité).

Mieux comprendre les facteurs de réussite

Ingénieur de recherche au CTIFL, Sébastien Picault conduit des études sur ces stratégies de protection de plantes depuis plusieurs années. Si, cette année, les plantes-ressources et les plantes-banques semblent opérantes, il reconnaît volontiers que cela n’a pas toujours été le cas. Ses travaux consistent d’ailleurs à étudier les différents paramètres qui font qu’une stratégie fonctionne ou non.

Plants d’aubergine en fleurs (à gauche), à côté de la bande de service, avec achillée au premier plan et tanaisie au second (Crédit photo : Catherine Perrot)
Plants d’aubergine en fleurs (à gauche), à côté de la bande de service, avec achillée au premier plan et tanaisie au second (Crédit photo : Catherine Perrot)

Tous les facteurs qui influencent l’efficacité des stratégies de lutte biologique par conservation sont loin d’être compris, mais quelques pistes semblent se dessiner : l’un des plus importants est la capacité des plantes-ressources et plantes-banques à attirer très tôt dans la saison les auxiliaires et les pucerons, et surtout bien avant l’installation des pucerons sur la culture. Une fois les colonies installées, et même si, par la suite, elles attirent des prédateurs, il est généralement « trop tard » et le seuil de nuisibilité économique sur la culture est dépassé.

Ortie : une super banque

Pour Sébastien Picault, l’une des meilleures plantes dans la mission de « banque », c’est l’ortie : « Dès le mois de décembre, elle attire des pucerons ». La tanaisie et l’achillée millefeuille se révèlent aussi assez opérantes sur les deux fonctions de ressource et banque, mais avec une certaine fluctuation des résultats. « Chez nous, l’achillée n’attire pas beaucoup de prédateurs, mais chez nos partenaires, cela fonctionne souvent très bien », décrit Sébastien Picault. Devant cette variabilité, Sébastien Picault estime qu’il vaut mieux « assurer le coup, en implantant plusieurs plantes pour la même fonction ».

D’autres sources d’échecs ont également été mises en évidence durant les expériences passées : par exemple, le sarrasin et le souci officinal, réputées plantes-ressources, ont attiré des pucerons nuisibles pour les cultures, au point que ces dernières ont même été « liquidées ». « On essuie les plâtres, l’expérimentation, ça sert à cela aussi », reconnaît Sébastien Picault.

Partie intégrante du système de production

Les expérimentations continuent sur ces tunnels aménagés, pour explorer les différents facteurs (biologiques, physiologiques, écologiques) qui influencent l'efficacité des stratégies. Certes, il n’est pas certain que les producteurs « acceptent » de sacrifier 20 % de leur surface pour y mettre des plantes, mais une fois que l’efficacité des stratégies testées sera définitivement prouvée et de que les facteurs de réussite seront connus, les surfaces pourront peut-être être réduites afin de trouver le ratio « surface consacrée aux plantes de service / surface cultivée » critique

En outre, plantes-ressources et plantes-banques ne sont que deux catégories de la grande famille des plantes de services. On pourrait ainsi imaginer rajouter des plantes-répulsives, et pourquoi pas, des plantes-pièges pour les ravageurs. « L’idée, ce n’est pas d’additionner des leviers qui ont chacun une efficacité limitée, c’est de mettre en place un système dans lequel les leviers s’activent les uns les autres. Pour moi, dans l’agroécologie des années à venir, ces plantes de services doivent être vues comme des éléments du système de production à part entière, au même titre que l’irrigation ou le matériel » conclut Sébastien Picault.