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Quand les déchets alimentaires reviennent fertiliser les champs
Alors que la collecte en masse des biodéchets agricoles se généralise dans les grandes villes françaises, leur utilisation sous forme de compost dans les champs représente l’un des principaux débouchés. Si les volumes sont très loin d’atteindre ceux de fumier ou de lisier utilisés en France, il représente néanmoins une solution d’appoint à ne pas négliger, notamment en agriculture biologique.
Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, la loi Agec impose aux collectivités de mettre en place une solution de tri séparée pour les biodéchets des ménages. Si cette disposition réglementaire peut sembler loin des préoccupations du monde agricole, elle représente en réalité une opportunité à ne pas laisser passer. En effet, la plupart des métropoles françaises optent pour une collecte des déchets alimentaires en point d’apport volontaire (voir encadré). Les professionnels, incluant restaurants, cantines ou commerces alimentaires, doivent également trier cette matière organique qui finissait auparavant enfouie ou incinérée avec les ordures ménagères. Une fois collectés, les biodéchets sont dirigés soit vers des unités de méthanisation, soit vers des plateformes de compostage. Or, le digestat ou le compost produit représente une matière fertilisante non négligeable à l’heure où le prix des engrais minéraux et la décapitalisation du cheptel bovin français entrainent des tensions sur l’approvisionnement en matière organique des fermes françaises, notamment bio.
Collecte en point d’apport volontaireSi les communes rurales et peu denses ont simplement à pousser l’installation des composteurs dans les jardins pour se mettre en conformité avec la loi, la tâche est plus rude pour les villes aux densités de population plus importantes. La plupart de ces collectivités ont opté pour des abri-bacs en métal étanche dans lequel est placé une benne à ordure de 120 à 240 litres. Ces dispositifs, équipés d’une pédale pour ouvrir le couvercle de la boite métallique, sont disposés à intervalle réguliers sur la voie publique. Charge aux habitants de s’y déplacer pour déposer leurs déchets alimentaires, comme c’est déjà le cas pour le verre. |
Un potentiel de 1 à 2 millions de tonnes
Le réseau Compost In Situ prône un compostage de territoire et un retour au sol, dans un rayon de 30 à 40 kilomètres, en lien avec les agriculteurs. Il compte une vingtaine d’adhérents à travers la France qui produisent annuellement 5000 tonnes de fertilisants sous forme de compost issu de biodéchets. Caroline Thieffry, qui assure l’animation du réseau, évalue à 10 millions de tonnes le potentiel de biodéchets à collecter en France. « À ce jour, seul un million de tonnes est collecté. Il y a une marge de progression », chiffre-t-elle. Du côté de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), qui travaille sur le sujet à travers le projet Mona (valorisation des Matières Organiques Non-Agricoles en agriculture biologique), on estime entre 1 et 2 millions de tonnes le potentiel de compost qui pourrait être produit à partir de biodéchets alimentaires mélangés à des déchets verts. « À raison d’un épandage de 10 t/ha de compost une année sur deux, pour des fermes de 65 ha de moyenne, le compost de biodéchet représente les besoins de 7% des fermes bio en France. Ce n’est pas une solution à l’échelle des besoins nationaux, mais ça reste une option non négligeable », souligne Felix Lepers, chargé de mission réglementation et politiques publiques à la Fnab.
Des filières se mettent en place
Dans les faits, certains ont déjà franchi le pas. En Mayenne, la société Agrologic qui commercialise des graines bio et sans gluten, produites sur ses propres terres ou chez des agriculteurs partenaires, s’est impliquée dans un projet local de compostage de biodéchets. « Nous achetons 400 tonnes par an de compost à notre partenaire Les Pieds sur Terre, qui collecte les biodéchets et les composte en local. En contrepartie, nous lui fournissons des cosses de céréales, une matière sèche qu’il intègre au biodéchet lors du processus de compostage », témoigne Mylène Seyeux, responsable communication chez Agrologic.
Au nord de Nantes, l’entreprise Terra Compost va plus loin en compostant directement les biodéchets des restaurateurs et des cantines dans les champs des agriculteurs. « C’est une solution possible en deçà du seuil des 750 tonnes de compost produit chaque année. Au-delà, il est nécessaire de s’équiper d’une plateforme de compostage étanche. Cette dernière peut également être réalisée chez un agriculteur car nous sommes confrontés à l’enjeu de la disponibilité du foncier pour ce type d’infrastructure », analyse Caroline Thieffry.
Des filières longues se mettent par ailleurs en place. Les biodéchets de la métropole nantaise sont compostés en partie par Suez, qui les expédie ensuite à sa filiale Terrial spécialisée dans les amendements agricoles. C’est cette dernière qui se charge ensuite de commercialiser le compost aux agriculteurs.
Quid du plastique
Qu’ils soient redirigés en méthanisation ou en compostage, le plus gros inconvénient du compost de biodéchet repose sur les erreurs de tri. Même si les normes imposent un taux de plastique inférieur à 1% dans les amendements ou fertilisants épandus aux champs, même un taux inférieur à 0,1% représente plusieurs kilos de micro-pollution sur des volumes de milliers de tonnes de compost. « Tant que les biodéchets collectés contiennent encore du plastique, ils doivent être dirigés vers l’incinération. Dans le cas contraire, la pollution des terres agricoles est irréversible », assène Felix Lepers. Sur le terrain, un constat émerge. Les biodéchets en provenance des professionnels sont souvent mieux triés que les points d’apports volontaires accessibles à tous dans la rue. « Notre réseau reçoit des biodéchets en très grande majorité issus des professionnels de l’alimentation. Il y a une sensibilisation importante au tri en amont et chaque arrivage est noté visuellement sur sa qualité et la note est remontée jusqu’à l’entreprise chez qui ont été collectés les biodéchets », évoque Caroline Thieffry. À Nantes, l’antenne des Alchimistes, un autre réseau national de compostage, réalise un tarif dégressif auprès des entreprises chez qui elle collecte les biodéchets en fonction de la qualité du tri.
S’emparer de la réglementation
L’agrément sanitaire pour composter des produits animaux peut représenter un frein au compostage à la ferme. « Si le prestataire ne fait pas le suivi des températures, ce n’est pas l’agriculteur qui le fera », constate Felix Lepers. À Perpignan, dans les Pyrénées Orientales, la Fnab a soutenu un projet de compostage sur une exploitation voisine des biodéchets d’un marché de plein vent où sont vendus uniquement des fruits et légumes. Cette approche permet de se passer des contraintes sanitaires du compostage des produits animaux