Transmission des élevages de ruminants : comment (re)connecter les entrants et sortants ?

L’inadéquation entre les offres de reprise et les aspirations des candidats à l’installation fait peser une lourde menace sur la transmissibilité des élevages de ruminants. Si le constat est imparable, les solutions sont encore embryonnaires. Un livre blanc est en préparation.

« Les éleveurs en quête d’un nouvel associé recherchent des personnes à leur image mais ces personnes n’existent plus ». En une phrase, François-Etienne Mercier, vice-président des JA en charge de la formation et de l’installation, résume le défi auquel est confronté l’élevage de ruminants. C’était au salon de l’agriculture à l’occasion d’une conférence consacrée au « choc de transmission » en élevage bovin, ovin et caprin, sous l’égide de la Confédération nationale de l’élevage (CNE). « 50% du lait est produit par des éleveurs de plus de 50 ans, explique Yohann Barbe, trésorier de la FNPL et éleveur de bovins lait dans les Vosges. Aujourd’hui, on est sous la menace d’une déprise laitière nationale ». « En bovins viande, 50% des veaux naissent dans des exploitations dont le chef a plus de 50 ans », lui emboite Mathieu Théron, président des JA du Cantal.

"En ovins viande, on a un assez bon remplacement des actifs mais un moins bon remplacement des agneaux"

Et pourtant, les candidats ne manquent pas forcément à l’appel. Chez les petits ruminants par exemple, les taux de remplacement culminent respectivement à 91%, 94% et 106% en ovins lait, ovins viande et caprins, selon les données de l’Institut de l’élevage. « La médaille a son revers, tempère Christophe Perrot, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage. En ovin et caprin, la mobilité des nouveaux installés est beaucoup plus importante qu’en bovins, avec des départs plus précoces et des carrières plus courtes. Il est plus facile de rentrer dans le métier mais on en sort aussi plus vite, 25% des carrières durant moins de dix ans en petits ruminants. En ovins viande, on constate également que les gros bassins de production ont des taux de remplacement inférieurs à la moyenne, ce qui pose des problèmes de compétitivité pour les filières. En résumé, en ovins viande, on a un assez bon remplacement des actifs mais un moins bon remplacement des agneaux ».

"En bovins lait, il y a un décalage entre des candidats désireux de s’installer en individuel, motivés par la bio et les circuits courts alors que l’offre est plutôt collective et en filière longue"

Dans le secteur des bovins lait, les carrières sont plus longues mais l’entrée dans le métier laisse moins de possibilité aux projets individuels, un des marqueurs des candidats à l’installation, dont les Nima, les Non issus du milieu agricole. « En bovins lait, il y a d’énormes besoins de recrutement mais la filière est marquée par une spécificité forte, à savoir les 70% de part de marché des Gaec, souligne Christophe Perrot. S’installer en bovins lait signifie donc s’insérer dans un très gros collectif, constitué en moyenne de 3,2 UTA. Et de fait, il y a un décalage entre des candidats désireux de s’installer en individuel, motivés par la bio et les circuits courts alors que l’offre est plutôt collective et en filière longue ».

"Le Gaec, c’est super pour accueillir un jeune avec une sécurité financière, mais c’est plus compliqué pour que le jeune puisse exprimer pleinement son projet d’installation"

« Comment fait-on pour capter ces Nima au profil atypique que l’on n’a pas forcément l’habitude d’installer, s’interroge Yohann Barbe. La taille c’est eux qui le choisissent, le projet, c’est eux qui le choisissent. Le Gaec, c’est super pour accueillir un jeune avec une sécurité financière, mais c’est plus compliqué pour que le jeune puisse exprimer pleinement son projet d’installation ». « Les Nima ont envie de vivre une expérience personnelle et pas forcément de rentrer dans un moule », souligne Michèle Boudouin. La présidente de la FNO sait de quoi elle parle. « C’était mon cas il y a 30 ans », précise l’éleveuse du Puy-de-Dôme.

"A 50 ans, il faut extraire les agriculteurs de leur exploitation durant trois jours et faire un bilan de compétence, un bilan technico-économique et un bilan en ressources humaines"

S’il est exclu de faire rentrer aux forceps les candidats à l’installation, cédants et repreneurs vont devoir s’auto-apprivoiser. « Il faut que l’on travaille avec Gaec & Sociétés pour trouver des solutions concrètes en vue de sécuriser les projets les cinq premières années d’installation, tant pour les porteurs de projet que pour les associés, esquisse Yohann Barbe. On voit de plus en plus de jeunes quitter les Gaec, forçant les anciens à récupérer les parts, non sans risques financiers. On peut imaginer intégrer les jeunes en tant que salariés ou en stage pré-installation. Mais cela ne suffit pas car quand ce cap est passé, c’est là où, parfois, le clash survient quand le jeune veut faire vivre son propre projet ».

Trajectoire et taux de remplacement dans les élevages de ruminants (Source : Institut de l’élevage)
Trajectoire et taux de remplacement dans les élevages de ruminants (Source : Institut de l’élevage)

Pour Michèle Boudoin, une partie de la réponse est dans la formation. « Quand un agriculteur de 50 ans n’a jamais reçu de formation en ressource humaines, c’est compliqué d’intégrer un jeune, d’apprendre à travailler ensemble, de désamorcer les conflits. Les agriculteurs doivent se former et acquérir les compétences nécessaires à l’accueil d’un jeune associé et plus largement à la transmission. A 50 ans, il faut extraire les agriculteurs de leur exploitation durant trois jours et faire un bilan de compétence, un bilan technico-économique et un bilan en ressources humaines. Il faut être dans l’anticipation ».

"Lorsqu'on dégage un revenu, c’est aussi plus facile de se faire remplacer et de prendre des vacances "

L’anticipation, c’est ce que revendiquent les JA avec leur projet de transformer les Points accueil installation (PAI) en Points accueil formation installation transmission (Pafit) afin de renforcer l’accompagnement des porteurs de projet au-delà de la seule installation. « Il faut que les cédants et les repreneurs apprennent à se parler », appuie François-Etienne Mercier.

Formation, parrainage, stage de pré-installation, installation progressive, droit à l’essai, mesures fiscales propres aux cédants, renforcement des services de remplacement... : les courroies de la transmission ne manquent pas. Il ne reste plus qu’à les activer. La Confédération nationale de l’élevage devrait mettre de l’huile dans les rouages en publiant prochainement un livre blanc dédié à la transmission dans les élevages de ruminants. « On n’oublie pas la rémunération, c’est le nerf de la guerre, souligne Mathieu Théron. Sans compter que lorsqu'on dégage un revenu, c’est aussi plus facile de se faire remplacer et de prendre des vacances ».