Face au mur financier de l’installation, des briques fiscales par millions ?

Un rapport gouvernemental prône l’injection fiscale de 38 à 47,5 millions d’euros par an pour dénouer les freins financiers à l’installation, complétée par des mesures d’accompagnement ciblant notamment les hors cadre familiaux. Sauf qu'entre rapports et reports…

15 millions d’euros en réduction de taxe pour publicité foncière pour développer le portage foncier hors Safer. 3,5 millions d’euros en réduction d’impôt sur le revenu locatif issu d’une mise à bail d’au moins 9 ans à des candidats ayant suivi le parcours d’installation. Entre 1,5 et 2,5 millions d’euros en crédit d’impôt à la souscription d’un contrat d’assurance visant à garantir le paiement du fermage. 7 millions d’euros en exonération d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour la détention de terres louées par bail à long terme aux nouveaux installés sans condition de parenté entre bailleur et preneur. Entre 10 et 20 millions d’euros en réduction de la taxe pour publicité foncière par extension à toute le territoire national (et plus seulement en zone de revitalisation rurale) et par relèvement de 99.000 à 200.000 euros du seuil du taux réduit.

Evolution du montant moyen du fermage (en €/ha) et du rendement locatif brut depuis 2009 (Source : CGAAER – IGF)
Evolution du montant moyen du fermage (en €/ha) et du rendement locatif brut depuis 2009 (Source : CGAAER – IGF)

Telles sont les mesures fiscales figurant dans un rapport de l’IGF (*) et du CGAAER (**) dévoilé le 7 novembre dernier. Il faut y ajouter une recommandation sans impact financier, consistant à allonger de six mois de délai légal de transmission des biens immobiliers, dans le but d’accroître le nombre des cessions par substitution opérées par les Safer.

Evolution de l’actif moyen d’une exploitation agricole entre 2000 et 2022, en milliers d’euros (Source : CGAAER – IGF)
Evolution de l’actif moyen d’une exploitation agricole entre 2000 et 2022, en milliers d’euros (Source : CGAAER – IGF)

Le rapport rappelle la mécanique à l’œuvre en matière d’installation entre 1970 et 2020 (-75% d’exploitations avec -10% de SAU), avec la remise en cause du modèle de transmission au sein du cadre familial, sous l’effet du vieillissement des exploitants et de la raréfaction de repreneurs intra-familiaux. Cette donne socio-démographique a pour corollaire l’agrandissement et/ou le développement de la sous-traitance, cette dernière actant la dissociation du capital et du travail et la transition d'une logique productive à une logique de gestion patrimoniale du foncier agricole, au détriment de sa libération.

Ratio d’endettement (dettes/actif) des exploitations agricoles entre 2000 et 2022 (Source : CGAAER – IGF)
Ratio d’endettement (dettes/actif) des exploitations agricoles entre 2000 et 2022 (Source : CGAAER – IGF)

Le tout renchérit le coût des transmissions. Entre 2000 et 2022, l’actif moyen des exploitations agricoles a été multiplié par deux, à la fois sous l’effet de la consolidation de la taille des exploitations, mais aussi sous l’effet des investissements successifs dans du matériel neuf et la mise aux normes des bâtiments de production. Pour autant, le ratio d’endettement des exploitations est resté stable entre 2000 et 2022, entre 37% et 40% de l’actif. 

Autant d’éléments susceptibles de barrer le chemin à des candidats majoritairement non issus du milieu agricole (NIMA), pas forcément armés au plan financier mais assurément peu familiers des arcanes du monde agricole en général et de l’accès au métier et au foncier en particulier.

Evolution de l’actif moyen d’une exploitation agricole entre 2000 et 2022, en milliers d’euros (Source : CGAAER – IGF)
Evolution de l’actif moyen d’une exploitation agricole entre 2000 et 2022, en milliers d’euros (Source : CGAAER – IGF)

C’est là où le CGAAER apporte sa contribution en formulant une série de recommandations destinées à lever les freins non financiers à l’installation, actant le fait que « six candidats sur dix ne terminent pas leur parcours d’installation ». En ce qui concerne le volet transmission, le rapport recommande de rendre obligatoire le volet « incitation à la transmission » des programmes régionaux AITA (accompagnement à l’installation et à la transmission agricole) et d’en renforcer les moyens. Il préconise également d’inclure dans le Point accueil installation (PAI) un accompagnement spécifique répondant aux besoins des cédants (fiscalité, patrimoine, reprise de l’exploitation, etc.).

Evolution du nombre d’installations et de départ entre 2015 et 2022 (Source : CGAAER – IGF)
Evolution du nombre d’installations et de départ entre 2015 et 2022 (Source : CGAAER – IGF)

Côté installation, à l’intention des NIMA, le rapport recommande de créer au sein des PAI des modules d’appuis spécifiques et personnalisés dédiés à l’émergence de projets et à la recherche de foncier, ciblant tout particulièrement les hors cadre familiaux. Enfin, le rapport plaide pour la création d’un observatoire unique de l’installation-transmission, qui agrégerait à la fois des indicateurs concernant l’évolution des actifs (cédants, candidats et salariés) et les flux de foncier.

Beaucoup de rapports et… autant de reports

On notera que le rapport en question, daté de juillet dernier, avait été commandité par le ministère de l’Agriculture le 24 février 2024 en pleine crise agricole. Entre-temps, l’Assemblée nationale et le gouvernement ont changé, coupant l’herbe sous le pied au Projet de loi d’orientation agricole, tandis que l’étau budgétaire de l’Etat s’est sensiblement resserré. Depuis quelques années, les rapports sur l’installation-transmission et sur le foncier agricole s’accumulent et documentent abondamment le diagnostic et esquissent inlassablement des pistes. Mais leur transcription en termes réglementaires et législatifs fait plutôt dans le report…

(*) Inspection générale des finances

(**) Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux