Y a-t-il une angus mania ?

L’angus débarque en force depuis quelques années. Race à la mode, parfois un peu trop « marketée » en tant que viande d’exception, l’angus est en réalité adoptée par les éleveurs français au moins autant pour ses facilités d’élevage que pour son goût. Et elle commence à bien s’intégrer dans le paysage diversifié des races élevées en France.

« Nec plus ultra de toutes les viandes », « viande d’exception », « pour les palais exigeants », « laissez-vous séduire par ses arômes raffinés ». Lorsqu’elles évoquent l’angus, les boucheries en ligne ne sont pas avares de qualificatifs élogieux, limite pompeux, pour vendre de la viande… d’importation, le plus souvent, en provenance d’Irlande, d’Argentine ou des USA.

Pourtant, la race angus, « aberdeen angus » de son nom complet, est bien présente en France : à ce jour, l’Idele-Institut de l’élevage recense environ 50 000 vaches sous son code race, le 17. C’est une progression impressionnante, puisqu’on ne comptait que quelques individus dans les années 2000, et quelques centaines d’animaux dans les années 2010.

Forte progression des vaches angus depuis cinq ans

« On observe une forte accélération depuis cinq ans environ », estime Célestin Gardel, éleveur d’angus dans la Loire et membre du bureau de l’Association aberdeen angus France, reconnue organisme de sélection de la race depuis 2021. Selon lui, ce n’est ni un hasard, ni une mode passagère : « L’angus est la première race à viande élevée dans le monde. Originaire d’Ecosse, elle est très présente chez nos voisins allemands depuis des dizaines d’années ».

La France ne ferait donc que rattraper son retard concernant cette race, qui fut sans doute la première au monde à être sélectionnée uniquement pour sa viande et la qualité de sa viande, il y a plus de 100 ans. Cette viande est caractérisée par la présence de gras intramusculaire, qui lui donne son persillé caractéristique et contribue à son goût.

Les races traditionnelles françaises ont longtemps été « polyvalentes », produisant lait, force de traction et viande en fin de vie, ce qui explique notamment pourquoi beaucoup de « nos » races sont grandes, musclées et cornues (pour attacher le joug). La race angus, quant à elle, est de gabarit plutôt moyen et entièrement acère (sans corne).

La viande d’angus se caractérise par son persillé. (Photo Angus de Belle Fontaine).

Un attrait pour le modèle tout herbe, à l'instar des "black angus" de Nouvelle-Zélande

Ce sont ces petites vaches noires trapues « se détachant sur le vert des prairies de Nouvelle-Zélande » qui séduisent Bastien Cocaud lors d’un voyage à vélo dans l’hémisphère sud. Fils d’éleveurs laitiers de Pannecé (Loire-Atlantique), et jusqu’alors salarié d’un constructeur de machines agricoles, Bastien décide de s’installer à la suite de ses parents. Mais ce sera sur le modèle qui lui ressemble : avec des angus, en agriculture biologique et dans un système proche de ce qu’il a vu en Nouvelle-Zélande.

Progressivement, depuis 2020, Bastien a constitué son troupeau, atteignant en 2025 son objectif de 30 mères. Il en commercialise les produits, génisses et bœufs entre 28 et 36 mois, entièrement en vente directe, réservant ses quelques vaches de réforme au marché classique.

Bastien Cocaud élève une trentaine de vaches angus à Pannecé en Loire-Atlantique. Il est particulièrement attentif au bien-être animal (Photo Angus de Belle Fontaine).

L’excellence, l’exception, le « grand cru », toute cette « imagerie commerciale » de l’angus, ce n’est pas vraiment la tasse de thé de Bastien. Bien sûr, il revendique la qualité et le goût de la viande des animaux qu’il vend à des particuliers et à des restaurants. Mais ce qui fait le sens de son métier est ailleurs : « Ce que je vends, c’est « mon histoire » : une viande locale, un engraissement 100 % à l’herbe, un pâturage tournant dynamique, un système qui comprend des parcelles en agroforesterie, la garantie du bien-être animal. »

En cohérence avec son système d’engraissement à l’herbe, Bastien ne vend pas toute l’année, mais uniquement sur les périodes où l’herbe pousse, c’est-à-dire au printemps et à l’automne. Son objectif commercial est d’environ 20 animaux vendus par an, à des prix allant de 20 à 27 €/kg. « Un tarif cohérent avec mon objectif de marges. On voit encore trop d’éleveurs qui font de la vente directe à des prix qui biaisent le marché ».

L'angus, une race à viande polyvalente

Selon Célestin Gardel, de l’Association aberdeen angus France, ce sont des éleveurs sur le modèle de Bastien, bio et en vente directe, qui ont contribué à introduire la race angus en France. Mais la race est loin de se limiter à cela : « Il ne faut oublier que c’est aussi la race qui est représentée dans les feed-lot américains », note Mickaël Neuvy, lui aussi éleveur et membre du bureau de l’association aberdeen angus.

Pas question, bien sûr, de feed-lot à la française, mais cet éleveur basé dans la Vienne a quant à lui recours à un engraissement plus classique pour une race à viande. « Tout dépend du sol et du climat. On peut avoir plusieurs lignes de conduites pour cette race, que l’on peut retrouver en feed-lot avec des GMQ de 2 kg, ou en élevage extensif dans la pampa argentine ».

Pures ou croisées, des petites carcasses qui trouvent leur marché

L’angus semble également intéresser les circuits longs français. Marchand de bestiaux en Loire-Atlantique, Jean-Pierre Aupiais constate, lui-aussi, une activité marchande accrue autour de cette race. Selon lui, l’angus correspond bien à la demande des grands abattoirs « qui veulent de plus en plus des petites carcasses. Les Français mangent moins de viande, mais ils veulent se faire plaisir. Les grosses côtes de bœufs deviennent plus difficiles à commercialiser que les petites ».

Jean-Pierre Aupiais remarque aussi une forte demande de la part des éleveurs de sa région pour faire du croisement, avec des races laitières comme avec des races à viande. Le croisement avec l’angus semble non seulement diminuer la taille des carcasses, mais également améliorer la précocité de dépôt de gras.

La ferme expérimentale de Thorigné d’Anjou (Maine-et-Loire) a ainsi récemment réalisé des essais de dégustation par un jury entraîné sur la viande d’animaux croisés limousin/angus âgés de seulement deux ans. Par rapport au standard (vache charolaise de 5 ans), la viande des croisés ne présentait pas de différence en composition chimique ni en couleur. L’aspect visuel et la tendreté étaient même jugés légèrement supérieurs. Plus qu’une concurrente des races françaises, l’angus pourrait donc en devenir une alliée, facteur de renouveau.